Chapitre VI

Épisode 025

Griotte m’a dit un jour que les personnes bilingues développent des personnalités différentes selon la langue où elles s’expriment. Je n’ai jamais pu vérifier ; mais un interrogatoire un peu serré provoque le même genre de réactions. Je ne reconnais ni la morgue tranquille ni les gestes mesurés de Pierre Rivaz... Il est nerveux, nerveux et arrogant, et un peu pâle aussi... Il me jette un vague regard alors que je vais m’installer dans un coin. Tarantini ne lui laisse d’ailleurs guère le temps de s’interroger sur les raisons de ma présence.

– Éprouvez-vous de l’amitié ou de l’antipathie pour Tardelli ?

– Ni l’un ni l’autre. Je l’admire et il m’indiffère. Ses intuitions sont épatantes, mais je n’ai pas grand-chose à dire à l’homme...

– Vous lui parlez de temps à autre au téléphone ?

– Puisque vous avez les relevés...

– Je ne vous demande pas de vous interroger sur les éléments que je possède, mais de répondre à mes questions, Monsieur Rivaz ! Téléphonez-vous parfois à Marco Tardelli ?

– Oui. Professionnellement nos relations nous y contraignent. J’ajoute que Marco Tardelli déteste le téléphone et qu’il a fallut les efforts conjugués de sa fiancée et de Gilles Magrot pour qu’il accepte de se munir d’un portable au nom de la société.

– Considérez-vous que les propos de Monsieur Tardelli à la soirée organisée par Rollin-Lachenal constituent une grave faute professionnelle à l’égard de Gilles Magrot et de vous-même ?

– À l’égard de la société Magrot-Tardelli, évidemment !

– Et pourquoi ne l’avez vous pas appelé ce soir-là... Puisque vous parliez des relevés, ceux-ci sont formels : vous n’avez pas composé le numéro de Monsieur Tardelli ce soir-là.

– Je n’étais pas au courant et...

– Si.

– Je vous demande pardon.

– Si. Vous étiez au courant. Quatre personnes qui assistaient à la soirée ont admis vous avoir contacté.

– Je ne pouvais pas me faire une idée claire de la situation par SMS, vous le reconnaîtrez. En outre, comme je vous l’ai dit, Marco Tardelli n’est pas des plus faciles à joindre. J’ai jugé préférable de téléphoner d’abord à Gilles Magrot pour lui faire part de la situation et lui demander s’il voulait que je m’en occupe. Il a répondu par la négative.

– J’avoue que j’ai du mal à vous croire. Vous êtes un homme de responsabilités et...

– Et puis que vouliez-vous que je dise à un Tardelli manifestement ivre ! Le mal était fait...

– Je vous prie de ne pas interrompre mes raisonnements, Monsieur Rivaz... Je constatais simplement que le soir du crime, vous avez laissé passer l’orage, alors pourtant que la société Magrot-Tardelli compte beaucoup pour vous puisque vous vous êtes récemment rendu en son nom jusqu’à Berlin.

– Je ne vois pas le rapport...