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One – Harry Nilsson

À la base, j’ai toujours détesté la pop. J’entends par pop, le côté couplet-refrain, avec une guitare rythmique un peu fadasse, une ligne de basse qui s’endort sur le début de la mesure, une batterie qui ne change jamais sauf pour un faire un break « onnepeutplustéléphoné »…

Et pourtant, le morceau, qui pour moi est « la plus belle chanson du monde », est un exemple même de simplicité ! Oui, j’aurais pu parler d’un titre de Nine Inch Nails et de ses cinquante-neuf pistes enregistrées pendant quatre ans pour que le son soit parfait… mais je préfère partager cette mélodie tellement parfaite qui m’accompagne depuis tant d’années ! Après quoi : 200, 300, 400 écoutes ? … je n’arrive toujours pas comprendre comment une chanson pareille n’a pas eu un succès mondial ou n’est pas devenue l’hymne américain !

Alors oui, grâce à un petit coup de pouce de Lennon et McCartney, on en cause, on écoute… mais pourtant à part deux ou trois morceaux (Coconut, Everybody’s Talkin’) ce compositeur ne sera jamais « culte » ! Aimee Mann l’aura repris à a sauce (pas si mal d’ailleurs) dans le très beau film « Magnolia », de Paul Thomas Andersson.

Parlons de cette fameuse chanson maintenant :

D’abord il y a l’aînée… euh non désolé je m’égare car j’ai hésité à parler de Ces gens-là… bref, d’abord il y a ce clavier répétitif qui va rester en continu pendant les trois minutes, puis cette basse qui groove avec ce son si chaleureux, la douce voix arrive, les violons se baladent à la manière d’un Eleanor Rigby, puis le refrain accompagné par cette flûte (et c’est là peut être le seul indice qui peut nous faire dire la période de cette chanson doit plutôt se située dans les sixties… hormis cela, ce morceau est complètement intemporel… il pourrait être sorti l’année dernière, non ?).

Et pour terminer ces deux minutes cinquante en beauté, cette monstrueuse montée de voix, limite a capela (ah non j’oubliais, ce fameux clavier et ses six accords qui restera jusqu’au bout et qui restera dans nos têtes).

Vous avez envie de la réécouter directement ? Oui c’est normal c’est la plus belle chanson du monde !

Sylvain Maradan

Avec le temps – Léo Ferré

Une chanson.

J’avais commencé les parties avec Whole Lotta Love, Led Zeppelin. ça venait de sortir, ça allait bien, ça secouait fort. Puis, avec le temps des bonus agonisant, est arrivé un autre rythme, d’autres sons. Tout aussi contemporains mais plus lointains, comme plus sourds et dominant néanmoins petit à petit les clacs des spots lumineux et les tacs de la boule de fer derrière la vitre sale sur laquelle n’en finissait pas de refroidir mon hot-dog déjà bien tiède et trop mou. La monnaie vint à manquer, la pin-up quitta jupette et soutif en néon, la saucisse de Vienne chut et le flipper bouda.

Alors cette nouvelle voix que distillait le juke-box, et qui avait déjà bien gommé l’ambiance générale du bar, devint encore plus présente. Pour devenir une présence qui me hante encore aujourd’hui. Le bar s’appelait le Pépin… et le 45 tours Avec le Temps.

Moi, En ce temps-là j’étais en mon adolescence / j’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance (Cendrars). Alors donc comme je commençais déjà à deviner que les plus chouettes souvenirs ça t’as une de ces gueules, cette chanson me foudroya. Non pas comme une langueur triste et désillusionnée, mais comme le souffle même de la lucidité. La lucidité, qui vient de Lucifer, de celui qui porte la lumière, et qui distribue tantôt les élans et tantôt les retenues, se révélait formidable dans cet ensemble indissociable d’une voix, d’un piano, d’un texte et d’une mélodie. Tout le contraire d’une pose et d’un arrangement!

C’était, et c’est toujours, davantage un souffle qu’une histoire à chantonner, qu’une mélodie à susurrer, qu’une leçon de vie déguisée en poésie. Et surtout : irréductible et inimitable, comme l’est un battement de paupière qui aimerait chasser ou revoir un geste dans une pauvre lumière. Il y a dans cette composition et surtout dans cette interprétation une pureté exceptionnelle et inégalable. Les nombreuses reprises qui en ont été faites par une foule de pousse-la-voix l’attestent bien tant elles sont méprises appauvries par un respect trop grand ou encore par une appropriation opportuniste trop jouée. Dalida seule a su éviter de « reprendre » cette chanson, pour lui donner son souffle à elle. Ce qui ne m’étonne pas, car bien avant de se résumer en icône yé-yé et en ce pourquoi elle cessa, Dalida était bien une de ces voix qui n’est que le son du souffle au cœur d’une gorge et qui sait pourquoi, à peine comment, il doit sortir ainsi.

Léo F_1317_01Photo : © Alan Humerose

J’écoute cette chanson, mais tout Léo Ferré, depuis plus de quarante ans avec l’impression de toujours redécouvrir non pas vraiment les paroles mais comment celles-ci s’agglutinent à la mélodie, ou l’inverse : bref, comment le chant colle à la peau et à son timbre. Lorsque j’ai réalisé cette photographie, quelques années avant sa mort, c’est cette parole et son tempo que je ne cessais de voir, bien en deçà et au-delà des postures de la renommée.

Je ne connais toujours pas le texte par cœur de bout en bout, parce que la voix m’emporte chaque fois, encore et encore. Mais je sais ses syllabes sur ses mesures qui en disent plus. Je sais ses intonations plus puissantes que les mots seuls qu’elle lance. Il ne s’agit nullement de vers accompagnés d’instruments, mais bien de notes qui tirent en avant les mots, ceux des pauvres gens, les permettent, j’allais dire les osent : Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid… Et j’entends dans l’orchestration, hélas impossible à citer ici et j’en rage, ces murmures inaudibles et infinis qui se cherchent et qui viennent s’échouer en une litanie, en une rengaine, précisément comme vient se coucher dans une photographie, surpris, tel trait sur une gueule resté autrement inaperçu et qui la tatoue désormais.

Avec le temps, cette petite chose écrite en deux heures, disait Ferré agacé de son succès, est devenue un monument, un classique heureusement loin d’être un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit dans l’industrie du divertissement et d’un art mineur ! Et pour terminer si Avec le temps, va, tout s’en va, cette chanson désigne un contraire et tient de l’exception, en demeurant vraiment, en ne s’en allant pas, ni même en prenant une ride. Ce genre d’exception qui fait que malgré le rythme de nos jours on se surprend parfois à fredonner un air entêtant, presque sans le vouloir, sans le choisir en tout cas, comme on shoote tout à coup un marron sur le trottoir et qu’il va dessiner pour un temps une autre trajectoire.

Alan Humerose
Fribourg, 28 septembre 2014

Pilule – Damien Saez

Damien, c’est une baffe dans ta gueule.

Une bonne baffe qui te fait penser que peut-être, tu t’es gouré.

De celle qui ne t’autorise pas à continuer comme si de rien n’était, sifflant le nez en l’air, l’air de rien.

Saez, c’est une taffe d’énergie.

Une bonne taffe d’herbe qui t’envoie sur orbite.

De celle qui t’autorise à penser que ton trip est partagé, que « l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage », et qu’avec un peu de bol, y’a du monde qui attend que tu redescendes.

Car lorsque tu acceptes que cette voix qui pourrait déranger n’a plus d’importance et que tu entres, tête la première dans ses textes, comme un spéléologue qui n’a rien à perdre, tu prends la mesure du choc qui va t’estourbir dès que tu penseras avoir trouvé le puits de lumière qui te permet enfin de sortir du tunnel.

Parce que cette lumière, elle est multicolère.

Elle t’emmène sonder le fond de tes tripes, le fondement de ton enfance, l’insondable de tes racines.

Elle te questionne sur tes principes, comme un boomerang.

Pas celui que tu lances à tes gosses le dimanche pour qu’ils courent le chercher. Non.

Celui qui revient dans ta gueule à coup sûr. Le vrai.

Qui après une frappe bien sentie et une légère nausée explicable te fait regarder tes gosses et votre avenir autrement.

Parce que ce mec et son vécu d’écorché; (dont Voici n’a pas eu les droits)

Voilà qu’il te renvoie tes rages adolescentes; à 40 ans.

Voilà qu’il te rappelle les mochetés inacceptables que tu as oubliées; à 40 ans.

Voilà qu’il te réveille d’un long sommeil; à 40 ans.

Parce que dans ses textes, il y a « salut à toi mon frère »,

Parce que dans ses textes, il y a du Brel,

Parce que dans ses textes, il y a du Brassens,

Parce que dans ses textes, il y a du Bashung.

Sauf que c’est du Saez.

Sauf qu’il respecte ses pairs, tout en les honorant.

Parce qu’il réoriente ton avenir et celui des tiens, en puisant dans ses maîtres pour les ressusciter.

Parce que souvent l’histoire se répète, et qu’il serait urgent de l’en empêcher.

Là.

Maintenant

Tout de suite.

Tamara Védrine

Heart of Gold – Neil Young

Je ne sais pas si ce sera le piano ou la guitare. Mais, un jour, j’apprendrai à jouer d’un instrument. Et, dès que je saurai aligner trois accords, et bien tant pis, je massacrerai maladroitement Heart of Gold, la chanson la plus connue de Neil Young. De toute manière, comme il s’agit de la plus belle du monde, je ne pourrai pas lui faire grand mal.

Avant même que je sache qui chantait cette rengaine, je frissonnais à chaque fois que j’entendais Heart of Gold sur le ReVox de mon papa. Car, à cette époque, le futé ne dépensait pas beaucoup d’argent pour acheter des disques. Il avait préféré investir dans un impressionnant magnétophone, du matériel de professionnel, d’une qualité sans concurrence. Fier comme un paon avec son A77, il enregistrait sur ses bandes magnétiques les tubes du moment : Butterfly de Danyel Gérard, Aline de Christophe, l’intégralité d’Abbey Road (personne dans la famille ne savait que c’était les Beatles et tout le monde adorait Something). Comme la bande durait des plombes, on attendait religieusement la fin et on rembobinait. Il devait même y avoir Capri, c’est fini. Mais là, je ne mettrais pas ma main au feu.

Je ne sais pas comment mon papa est tombé sur Heart of Gold. Il a sans doute dû trouver le 45 tours paru en 1971, juste avant ou juste après ma naissance. Car, s’il avait eu entre les mains l’album Harvest, publié quelques mois plus tard, il l’aurait certainement copié en entier. Or je ne me rappelle pas avoir été un jour bercé par Old Man, Alabama ou The Needle and the Damage Done. Je m’en souviendrais.

Depuis toujours, je défaille donc à chaque fois que j’entends cette version un peu kitsch, avec cette basse au premier-plan et la guitare pedal steel très country de Ben Keith. À chaque écoute, je respire à nouveau l’odeur caractéristique de notre ReVox bichonné à l’alcool médical par mon paternel.

Mais, durant une éternité, je ne savais pas qui était Neil Young. J’ai dû attendre Nirvana, Screaming Trees et Pearl Jam au début des années 90 pour découvrir de mon propre chef ce « parrain du grunge », accompagné de son vieux groupe, Crazy Horse. Et encore, il a fallu que Kurt Cobain cite cette trop fameuse phrase d’Hey Hey, My My dans sa lettre d’adieu: « It’s better to burn out than to fade away » (Mieux vaut partir en flammes que s’éteindre à petit feu).

Comme beaucoup, je suis remonté à la source du son de Seattle. J’ai découvert tour à tour la rage de Rust Never Sleeps (1979), le son agressif de Live Rust (1979), la fièvre de Ragged Glory (1990), la brutalité de Mirror Ball (1995). Dans le même élan, j’écoutais aussi bien Smell Like Teen Spirit que Cinnamon Girl, j’appréciais avec la même ferveur les albums « commerciaux » de Sonic Youth que les expérimentations bruitistes d’Arc-Weld. Avec sa dégaine de bûcheron canadien mal fagoté dans ses chemises à carreaux, Neil Young était devenu un grand frère.

Et comme tout grand frère, il m’a introduit à d’autres musiques. Par son biais, j’ai enfin écouté pêle-mêle Bob Dylan, Palace Brothers ou Vic Chesnutt. Et j’ai redécouvert Heart of Gold en 2007, lors de la sortie du Live at Massey Hall, daté de janvier 1971. Contraint de jouer assis à cause d’un violent mal de dos, Neil Young y teste des compositions inédites. Seul sur scène et guilleret avec le public, le Loner entonne au piano A Man Needs a Maid dans une version follement dépouillée. Sa voix de velours caresse chaque couplet. « My life is changing in so many ways / I don’t know who to trust anymore » (Ma vie change dans tant de direction / Que je ne sais plus en qui avoir encore confiance). Puis, surprise, il enchaîne sans transition avec Heart of Gold, toujours seul au piano, pour ce qui demeure sans doute sa plus belle interprétation.

Plus de quarante ans après la sortie d’Harvest, Neil Young est entré dans la légende du Paléo Festival en juillet 2013. Avec Crazy Horse, il prit un malin plaisir à défier les éléments tout au long de la soirée inaugurale. Il multiplia à tel point les références à Woodstock (et son célèbre « no rain, no rain ») qu’il provoqua le plus violent orage que connut la plaine de l’Asse. Quelques minutes avant la tempête, il joua une incroyable version d’Heart of Gold, debout, seul devant le public, comme aux plus belles heures de CSN & Y. Puis, il reprit Blowin’ in the Wind telle que Dylan la laissa en 1962. Comment un type si exalté et impétueux avec sa Les Paul noire peut-il être aussi tendre avec sa Martin-D45 acoustique? L’histoire gardera que, dès qu’il attaqua les premières notes de Like a Hurricane, des trombes d’eau s’abattirent sur la Côte.

Depuis 1971, Neil Young a pris de l’âge – « And I’m getting old », prédisait-il – mais il a toujours érigé les paroles de cette chanson en art de vivre. « I want to live, I want to give / I’ve been a miner for a heart of gold » (Je veux vivre, je veux donner / J’ai été un mineur à la recherche d’un cœur d’or).

Tout compte fait, je ne vais sans doute jamais apprendre à jouer du piano ni de la guitare. Ça m’évitera de massacrer Heart of Gold. Ce serait quand même dommage de lui causer pareil affront.

Christophe Dutoit

Altitude – La Rue Kétanou

D’abord une entrée de guitare, comme pour accompagner une balade. Puis, de longues notes d’accordéon qui font l’esprit léger, qui vagabonde, comme un oiseau qui s’envole. Ça monte, lentement, puissamment, une longue intro musicale, avec de grands coups d’ailes.

Et, cette voix, qui me soulève le thorax… à chaque fois que je l’entends, je dois poser la main sur ma gorge. Elle parle d’évasion, des prisons qu’on s’est forgées soi-même, de s’en extraire en s’élevant, sans réfléchir, s’envoler, se laisser porter par la vie, le soleil et, peut-être, l’amour… que les autres le comprennent ou non!

Cette chanson me parle, me transporte, m’émeut (surtout aujourd’hui en voyage à l’autre bout du monde) par sa musicalité entraînante, ses paroles, sa voix… Quand je l’écoute, je m’envole… en altitude. Et, tout devient possible!

Virginie Casutt

What a Wonderful World – Louis Armstrong

Après le retour d’une contrée très très lointaine, jour après jour, il me fut nécessaire de trouver la force d’accomplir les efforts qui, peut-être, devaient me permettre à nouveau de cheminer … C’est alors qu’il y eut des notes et une voix puis, plus tard, un sourire, qui m’ont soutenu au-delà de toute souffrance.

Mon antalgique, que dis-je, ma morphine : Louis Armstrong et What a Wonderful World.

Pascal Launay