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Épilogue Épisode 080 |
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Un message de la mère de Valentine sur le répondeur disait qu’elle allait chercher P’tit-Ju à l’école et qu’elle le gardait pour la nuit. Elle ajoutait d’une voix aigre « Je crois que je préférais encore quand il faisait le pantouflard à la maison, ton Jules ». Le Jules en question ne s’est pas offusqué, habitué qu’il est du mépris et des rebuffades, mais il a, par esprit de contradiction, larvé une bonne paire d’heures devant la télé en vidant des flans caramels et des cafés tièdes… Oui je sais encore me vautrer l’esprit vide et le corps mou dans un canapé. Je trouve ça plutôt rassurant. Comme personne ne venait, que les programmes télés n’arrivaient plus à satisfaire mes trois neurones en éveil et que ma belle ne daignait pas répondre à mes messages, je suis parti dans la ville à petit pas, en rotant doucement mon trop-plein de glucose. Je pensais à Armand, coincé Boulevard Carl-Vogt entre mes loups de collègues. Je n’aime pas l’odeur du sang, je n’aime pas la vue des proies. Est-ce qu’Hortense Courtois éprouvera un sentiment de soulagement quand elle saura ? Je pense que non, j’espère que non. La justice n’est pas un remède, une putain de nécessité sans doute, mais pas un remède. Il faut que je me rappelle de l’appeler, Hortense. Comme une onde de raison, de douceur dans cette foutue enquête. Les autres, je n’arrive pas à m’inquiéter pour leur vie pour leur avenir. Ils brassent des billets et des concepts, grand bien leur fasse ! Ils continueront avec ou sans Xavier Rollin-Lachenal, avec ou sans Bernard Armand. Il est des mondes où les hommes sont facilement interchangeables. Moi, je rêve d’un café dans les doux yeux d’Hortense et je rêve de l’entendre dire que sa vie va mieux. Après deux sonneries, Valentine répond enfin. – Trop de boulot, Joss, on se voit ce soir ! Mon amour est le Lucky Luke du raccroché de portable. Je n’ai pu esquisser la moindre syllabe, pas même craché la première lettre d’un mot qui aurait pu lui donner mauvaise conscience. Elle ne semble pas fâchée du téléphone de Darbellay. C’est déjà ça. Comme j’ai traversé le Pont des Bergues, presque par inadvertance, je pousse jusqu’à la Migros des Eaux-Vives et je vais ravitailler Yvan. Je vais même jusqu’à lui cuisiner un petit plat pour l’arracher à son écran. Il est blanc et maigre à faire peur et je me demande depuis combien de temps il n’a pas mangé chaud. – Je suis entrain de mettre un truc en place, pour la gestion de bases de données, je te raconte pas. – Non, raconte-moi pas, c’est mieux. Je me perd tout de même quelques heures dans les méandres des ses incompréhensibles enthousiasmes. Et quand je rentre, ma belle est déjà là. Enfin des traces d’elles sont là, qui tracent son chemin de son retour à son lit. Je soupire en me préparant le dernier café de la journée. Valentine a laissé quelques dossiers au salon. J’y jette un œil distrait et je comprends qu’elle se soit endormie avant de terminer. Dans la chambre, je me penche vers elle. Elle ne bouge pas, les yeux clos. Son réveil est réglé sur cinq heures et quart. Je renonce à l’idée de la secouer. Cinq heures et quart, mais que fais-tu de ta vie, mon amour ? Je me glisse sous la couette, tout contre elle et c’est alors que je me rends compte qu’elle ne dort pas, pas encore, pas tout à fait. Je passe ma main sur son ventre. Sa respiration s’accélère un peu. Bon signe, ça ! Mes lèvres sur sa nuque, sa main frémit, cherche la mienne et mon portable sonne « Dirty old town » depuis la poche de mon pantalon. – Réponds Sherlock, c’est sûrement ton assassin! Je me maudis de ne pas avoir éteint cette merdouille technologique et je maudis pire l’enfoiré qui ose m’appeler à cette heure. Darbellay, en fait. – Joss. C’était juste pour te dire. Il a craqué. Des confessions dans les grandes largeurs. Ça a mis le temps, mais on l’a eu, mon petit vieux ! Et on se demandait si tu ne voulais pas venir boire un verre avec nous ; histoire de fêter ça ! Je me balade de long en large dans le couloir et je lui dis non une bonne douzaine de fois avant qu’il daigne me foutre la paix. Quand je retourne dans la chambre, la respiration régulière de Valentine confirme mes craintes. Valentine s’est endormie pour de bon. Et je vous défie de tenter les manœuvres douces dans son premier sommeil, surtout quand son réveil est réglé sur cinq heures et quart. Je soupire, je ne fais plus que ça bon dieu, soupirer, et je me dirige vers l’armoire à gnôles. Je m’offre un whisky, un tout petit, juste pour deviser dix minutes avec moi-même sur le balcon. La brise est légère, pas assez froide pour me faire rentrer. On n’entend presque pas de bruits dans la rue. Genève est calme et molle. Une ville où il est plus facile d’oublier de vivre que de se faire tuer ! Je me répète trois fois la phrase, je la fais tourner dans ma bouche comme une pensée philosophique de haute teneur. Je l’aurai oubliée demain si je ne la note pas. Je ne la note pas. Je referme la porte du balcon. Je rince le verre en maudissant le manque de câlins de cette nuit et ce foutu réveil qui à cinq heures et quart, tranchera le fil de mes rêves.
FIN Michaël Perruchoud |
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