Ceux de Corneauduc

Nonante-quatrième épisode

Chapitre XIX

Le Duc n’a pu partir en guerre que pour unique raison : l’honneur qui lui pendouille à l’entrejambe. Mis à part la chasse, c’est là son unique préoccupation. Camilla Clotilda se souvient non sans effroi de leur présentation, alors qu’il avait chevauché depuis Minnetoy-Corbières pour demander sa main, bourses pleines d’écus tintants aux flancs d’un cheval épuisé. Son précepteur l’avait prévenu des tristes arriérations qui frappaient encore bien des bourgades reculées du Royaume de France, aussi s’attendait-elle à ce qu’il fut discourtois, peu cultivé. Mais son mépris de l’art, sa façon de poser manteau sur le bras d’un Apollon de marbre, son art de se moucher verdâtre en serviette brodée, dépassait tout ce à quoi elle s’attendait. À la tablée, le Duc parlait de chevreuils et de marcassins à la cantonade, riait de la tenue de femelle du ménestrel qu’on avait fait mandé à Florence et qui jouait, pour le plus grand ravissement des assemblées, de vieux chants courtois revisités à la lueur de la raison. La guerre et la politique n’inspiraient guère plus Freuguel-Meuzard-Childéric de Minnetoy-Corbières, qui n’aimait rien tant que sentir la soupe grasse lui dégouliner sur la barbe au coin de l’âtre en collant sa main aux fessiers charnus des soubrettes égrillardes. Non, le Duc n’avait pas l’âme d’un conquérant. Il détestait campements et vents froids et maniait l’épée comme un ivrogne manchot.

Elle pourrait réfléchir mille ans encore, il n’existe point d’autres préoccupations en cœur de son époux que son vit et ses chasses. S’il a prit le chemin de la guerre, c’est avec le courroux du cocu ! Comment sait-il et que sait-il ? Camilla Clotilda tremble à l’idée de paraître devant lui. Elle est maîtresse à l’art de la comédie. Elle l’a souvent prouvé à la couche, lorsqu’elle parvenait à calmer les ardeurs d’un époux qui semblait prêt à se frotter aux poutres en se moquant des esquilles tant le bas ventre le grattait jusqu’à l’âme. Que faire et comment paraître devant lui ? Si seulement sa blessure avait été fatale... Camilla Clotilda tourne en chambre, tourmentée, indécise quant à conduite à tenir, lorsque son regard se pose sur la décoction que Hilda Van der Klötten lui avait administrée hier pour que cesse ses souffrances, pour qu’elle dorme au plus vite. Qu’avait donc dit la tenancière ? Camilla Clotilda fronce les sourcils, parfaitement éveillée à présent.

– Pas plus d’une cuiller, avait dit l’aubergiste, cette plante est particulièrement efficace, mais à petite dose. Mon cousin en avait avalé trois gorgée... Il dort encore... au cimetière.

 
 

Si le «petit poussait» n’était pas un conte typé,
se serait-il perdu quand même ?
Sais-tu, pour te conter fleurette, tout ce que le mime osa ?
Pour faire de la chute libre, convient-il d’être frivole ?
Est-ce que ce qui débute à raison, se termine à tort ?
Le prochain épisode aura-t-il droit à l’euthanasie ?