Ceux de Corneauduc
Nonante-cinquième épisode
Chapitre XIX
Les ronflements saccadés du Duc traversent la cloison et glacent la Duchesse de dégoût. Les paroles de Hilda Van der Klötten dansent dans son esprit : « trois gorgées... au cimetière ». Et le flacon est là, sur la petite commode.
Camilla Clotilda a rêvé chaque nuit depuis son mariage de se débarrasser du Duc. Elle sait que ses manigances, un jour, lui permettront de prendre le pouvoir et d’offrir à un fils de digne prestance un Duché débarrassé d’une trop rustre lignée. Mais combien de temps lui faudra-t-il encore de compromission, combien de nuits infâmes à se défendre des élans conjugaux de ce verrat ? Et voilà que la providence lui offre une solution toute faite. Camilla ne trouvera jamais plus pareille occasion. Nul ne l’empêchera de retrouver son époux en chambre. Et ce soir, elle saura faire couler ses larmes de deuil. Tous penseront que le Duc aura succombé à ses blessures de guerre. Camilla Clotilda sort de la chambre, le flacon mortel glissé sous son habit de nuit.
Le soldat de faction lui sourit, ne se méfiant de rien. Camilla pousse la porte de la chambre et la referme silencieusement derrière elle. Un faible jour pénètre au travers des volets fermés. Camilla retient son souffle. Elle avance sur la pointe des pieds vers le gros tas de chair qui inspire et expire en se raclant boyaux et qui crache mollement dans son sommeil. Elle remarque pansements et tache de sang sur les draps, ne s’y attarde pas. Il dort la bouche ouverte. C’est presque trop facile. Il suffit de renverser le flacon dans sa gueule, et le nom de Freuguel-Meuzard-Childéric ne sera plus qu’une épitaphe de plus dans la crypte du château des Minnetoy-Corbières. Camilla Clotilda, glisse la fiole hors de son habit.
– Duchesse, quelle surprise !
La porte s’est ouverte à la volée, la fiole gît brisée aux pieds de Camilla Clotilda qui regarde autour d’elle avec les yeux de la chouette prise au piège d’un jour soudain. |