Ceux de Corneauduc
Cent dix-neuvième épisode
Chapitre XXII
Une sourde nausée parcourt le corps de Camilla Clotilda. Elle se demande bien ce que sait son mari, ce qu’il ne sait pas. Elle le croit incapable de se jouer d’elle. Ce gros porc moins vaillant que verrat doit considérer comme aubaine l’avoir retrouvée ainsi, sans combattre et comme par magie, et il se satisfera de la moindre explication afin de retourner au plus vite à beuveries.
Le Duc dit d’une voix trop douce qui trahit son impatience :
– Commencez donc par m’expliquer comment vous fûtes enlevée en notre château au retour de latrines...
Camilla décide de prendre le taureau par les cornes.
– Mon époux, c’est là pour moi grande déception et pour vous grande honte. Je fus emmenée de force à trois pas de votre couche sans que mes cris ne vous réveillent, ni vous ni Achille, ni vos ivrognes de sentinelles. Quelques fieffés vauriens sont venus me voler à vous, sous votre nez ronflant et vous ne fîtes rien. Je suis Duchesse, fille de sang bleu, et l’on peut s’emparer de moi comme d’une vulgaire chambrière !
Dans sa colère la Duchesse s’est levée. Le Duc avale mauvaise salive.
– Et comment avez vous échappé à la vigilance de vos ravisseurs ?
– Grâce au seul chevalier digne de notre Duché. Celui qui fut des Croisades et qui se cantonne maintenant en notre bourg puisque aucune tâche noble ne s’offre à son courage.
– Ne me dites pas que vous voulez parler du...
– Chevalier Alphagor Bourbier de Montcon, dit Braquemart d’Airain.
À ces mots, Vailles se prend le front et murmure : « Voilà qui explique pourquoi il n’est plus bouteilles céans ! »
– Voilà qui explique pourquoi il n’est plus bouteille céans ! répète le Duc qui, oubliant un instant sa douleur et la colère de sa femme, éclate d’un gras rire de panse qu’il regrette incontinent. Ce fieffé soiffard a dû laper jusqu’aux murs de l’auberge ! Mais où est-il donc que je l’embrasse ? |