Chapitre I
 
Épisode 001
 

e duché de Minnetoy-Corbières avait mis bannières en berne. Dans les rues du bourg, on portait noir et on saluait le nez en son mouchoir. Le soleil estival paraissait insolent et noyait le village d’une trop douce lumière.

Le bourg ne cachait pas sa peine et se tournait néanmoins vers le ciel pour adresser prières à Dieu de miséricorde pour qu’il accorde pitié et consolation au malheureux couple ducal. L’héritier, l’enfant que chacun à Minnetoy-Corbières avait couvé de son âme, n’avait point vécu à naissance. Bien sûr, le duc Freuguel Childeric, et plus encore son épouse, Camilla Clotilda, ne jouissaient pas d’une réputation sans tache ; et la douloureuse guerre menée l’automne précédent contre la baronnie du Rang Dévaux était encore en chaque mémoire. Mais il n’était personne à Minnetoy-Corbières qui aurait souhaité qu’un tel dol leur fondît sus.

Certes, Camilla Clotilda n’était point morte en couche. Elle avait survécu à l’enfant et elle était de suffisante jeunesse pour donner jour à d’autres héritiers. Mais, par le bourg, les secrets d’alcôve des suzerains couraient toutes les portes. On ne savait que trop que le gros braillard qui trônait au duché n’était plus bon que pour chasse et bombance, qu’il avait perdu bonne part de ce qui le faisait homme lors de sa dernière campagne. Il était mortecouilles, voilà tout, mortecouilles à jamais.

Les plus vils persifleurs chuchotaient même que sa liqueur de lignage n’avait jamais été que sale piquette impropre à donner à ses vassaux le fils que tous lui réclamaient. Certains ajoutaient même, à l’heure où taverne se prête à la rumeur, que le pauvre nourrisson qui n’avait point même crié sa présence au monde en ce maudit matin de juillet n’aurait été qu’un enfant du péché. On disait de la duchesse qu’elle avait la cuisse légère et l’escapade facile. Et durant sa grossesse, on rivalisait de bons mots quant au supposé géniteur. À qui Camilla Clotilda avait-elle offert croupe et melons ?

Il fallait croire que la rumeur était plus que sottise de comptoir, car le curé Gravenac lui-même, lors de son dernier prêche, avait affirmé que Dieu tout puissant n’avait toléré que chrétien duché soit ainsi souillé par la faute, et qu’il s’était vengé sur un innocent nouveau-né des mœurs peu chrétiennes de ses parents. Mais ceci avait été dit en mots si couverts que seuls quelques fidèles avaient pu comprendre l’allusion, et s’étaient empressés de l’oublier incontinent.

Bâtard ou point, l’héritier mort-né du duché fut porté en terre aux larmes sincères de tout un peuple. Et ce décès excitait un peu plus les convoitises des cousins du duc qui voyaient, en l’absence d’héritier, moyen de mettre main sur un fief prospère.

Les gens de Minnetoy-Corbières, malgré tout, aimaient leur suzerain, gueulard, matois, le mufle enduit de saindoux et de vin lourd, les dents tachées, et les idées guère vives, mais à la rude pogne tendue aux plus pauvres et qui pardonnait l’ivresse des uns et la paresse des autres. Les impôts étaient lourds, certes, mais les geôles du château étaient à demi vides, les tortures fort rares, et l’on riait sans peur à la nuit tombée.

Au bourg, chacun se retrouvait pour dire qu’il serait grand malheur que le duché tombât aux mains de ces cousins aux faciès tout d’avidité, qui n’aimaient le pouvoir que pour sa froide violence et qui assistaient à pendaisons en leur domaine un mauvais sourire aux lèvres. Dans les ruelles de Minnetoy-Corbières l’avenir semblait fait de pleurs et d’angoisse.

 
 
Quand le tapir éternue, la fourmi sourit.