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Chapitre I |
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Épisode 002 |
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Aussi, en taverne du Sanglier Noir, lieu de fête s’il en était, là où chaleur estivale incitait à belles soifs diurnes que moult comptines et fredaines ne permettaient jamais d’étancher, les rires ne résonnaient plus. On vidait son verre mollement, sans se faire briller les yeux. On devisait avec tristesse dans la voix. Même le chevalier Alphagor Bourbier de Montcon, que certaine légende dépeignait comme l’amant de la duchesse, ne se perdait plus en éternelles vantardises. - Je les ai vus, les cousins, disait-il. Des veules mauvais aux doigts crochus. Ils nous lorgnent en salivant depuis leur fief de Cassone et ne rêvent que de nous étouffer d’édits et d’impôts. Tous étaient pendus à ses lèvres, aussi se permit-il une longue gorgée en les toisant longuement par dessus sa chope de bière moussue. - On dit même qu’en leur fief, ils taxent doublement chopine. Cette phrase tomba comme couperet et l’assistance trembla mais n’en eut que plus soif encore. Morrachou, le tenancier, remplit les verres. Le Berthoux, qui exerçait noble métier de charpentier lorsqu’il n’était pas à vagir sous une table dans flaque de vin, leva son godet. - À la santé de notre duc, qu’il vive longtemps et nous donne héritier ! - Qu’il vive longtemps ! Cette prière sembla remettre entrain dans les gosiers. Les gorges se desserraient un tantinet et les conversations commençaient à dévier vers des sujets plus égrillards. Le gros Louis qui, quand il n’était pas à faucher ses champs, aimait bien traîner chez Morrachou, prit la parole : - Dis donc, Bourbier, toi qui as frotté le lard de la duchesse d’un peu plus près que nous, ne serais-tu pas ce jour d’hui en deuil pour des raisons de lignage, certes, mais de tien lignage ? Les rires fusèrent brièvement mais se turent aussitôt sous le regard noir d’Alphagor Bourbier, qu’on appelait plus volontiers Braquemart d’airain. Ledit Braquemart s’avança d’un pas lourd vers le gros Louis. Les deux hommes avaient même haute stature, mais le paysan faisait bien le double en largeur. C’est cependant lui qui détourna les yeux. - Sache bien, gros Louis, que tes propos offensent jusqu’à Dieu même. Si tu donnes vraiment foi à ces rumeurs, comment oses-tu me les lancer en plein visage en ce jour noir ? L’enfant qui est mort est le fils du duché, et j’en porte le deuil comme tous ici. Si tu avais à mon exemple parcouru le vaste monde au lieu de rester les pieds dans ton fumier, tu comprendrais un peu mieux comment souffre noble cour ! Il frappa d’une grande claque sonore le dos du gros Louis et se retourna en levant son verre, une étincelle lui faisant briller les yeux. - Ceci dit, si le duc ne sait plus engrosser sa femme et qu’il souhaite faire appel à mes services, qu’il sache que le chevalier de Montcon est prêt à mettre rapière au clair de nouveau s’il en va du salut de son duché ! Cette fois-ci les rires éclatèrent pour de bon et nouvelle tournée fut commandée. |
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Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin la coupe est pleine. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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