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Chapitre XIV |
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Épisode 076 |
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Les rires s’étaient tus et le silence régnait en taverne. Colère laissant place à tristesse, longtemps l’alberguière raconta, et Gabriella traduisait à l’adresse de Gobert. Elle se nommait Carlita, était fille cadette de paysan pauvre et fier qui besognait les champs de l’aube au couchant, sans se plaindre de douleur et de sienne condition. Ces trois fils avaient pris femme et il ne doutait pas que Carlita trouverait refuge auprès d’un sage époux dans une ferme du voisinage et qu’elle ferait enfants autant qu’il se doit. Enfants elle avait d’ailleurs fait autant qu’il se devait, mais pas comme il se devait. Troupe de soldats avaient été accueillie par son père. Ils disaient aller à Jérusalem. Le père pensait alors que croisade n’était plus d’époque, mais sait-on toujours ce que gens opulents et hommes de noblesse ont en tête ? Une croisade ou autre chose, finalement, usages lui intimaient d’ouvrir son huis et de procurer nourriture et couche aux gens de passage ; il s’en acquitta. Carlita allait voir les soldats comme on va en cirque ou en foire, avec les yeux émerveillés devant chose du monde qu’elle ne connaît pas. Et parmi les soldats, elle eut préférence. Celui qui parlait haut et riait fort. Pour lui, elle eut bontés de jeunesse. Elle laissa faire ses mains, contre lui elle s’allongea. Et lorsqu’il partit, sans un regard, elle n’était plus fille, plus digne, juste bonne à être répudiée. Elle n’aurait rien dit bien sûr mais son ventre témoigna contre elle et son père n’hésita pas un instant à la jeter sur les routes. De bonnes en mauvaises rencontres, son enfant sur le bras, elle rencontra juste et bon veuf qui tenait taverne et lui proposa de partager son sort. Elle ne pouvait rêver mieux. Veuf n’était certes plus jeune mais de bonne constitution encore. Trois enfants en témoignèrent. Trois garçons. Le rêve aux champs mais le cauchemar en cuisine ; car nourrir et abreuver saoulard demande discipline. Et ses quatre fils, menés par le pire, l’aîné, Quinotto, étaient querelleurs, chapardeurs et, dès leur plus jeune âge, n’avaient aidé en taverne qu’en finissant les verres oubliés sur les tables. Depuis la mort de son digne époux, la tâche était devenue harassante. Carlita, avait senti ses bras perdre force, ses joues se creuser, sans qu’elle n’y puisse rien faire. Elle s’en était alors remise au destin, s’était donnée à un homme de passage, faisant fi de réputation, dans l’espoir d’y gagner fille. Son ventre grossit et nouveau garçon parut, qui n’augurait pas mieux que ses aînés. Que faire contre pareille malédiction ? Carlita sanglotait et insultait celui qui avait causé son malheur, cet homme qui se faisait appeler le chevalier Braquemart d’Airain. - Mensonges ! Braquemart se jeta au bas du bar, se massa le front, rejeta la tête en arrière, se gargarisa de bière qu’il avait tétée au fût, rota pour se remettre idées d’aplomb et répéta, bien haut. - Ces jérémiades ne sont que mensonges ! Le regard que les habitués laissaient traîner sur lui n’étaient pas des plus amènes. Homme de bien n’aime pas que l’on moleste celle qui, fidèlement, lui sert à boire, surtout si celle-ci laisse parfois, en ondulant du bassin, espoir de couche à qui plus beaucoup n’espère. C’est alors que la porte s’ouvrit à la volée. |
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La brute abrupte broute l’abroupte. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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