Chapitre XIV
 
Épisode 075
 

Ils n’étaient pas entrés en taverne que Braquemart recevait fort honnête coup de casserole en plein crâne qui le fit choir sur le seuil, provoquant çà et là quelques rires discrets. Les lieux n’étaient pas bondés et les buveurs qui tenaient table semblaient n’avoir remué membres depuis des semaines sinon pour enfourner mécaniquement boissons et nourriture. Et seule la matrone munie de sa casserole et qui moulinait dur en hurlant foule d’insultes et en crachant sur le corps inerte de Braquemart en tapant du pied, mettait vie réelle à l’établissement.

- Mais enfin, que nous fais-là l’alberguière ? Nous avons de quoi payé notre dû ; dites-lui Gabriella.

- Je crains, sire Gobert, au vu des insultes que prononce cette commère, qu’elle connaisse Braquemart d’autres temps.

- Serait-il passé par ici en époque de sienne croisade ?

- Croisade ? Enfin Gobert. Il est siècles et siècles que nul chrétien ne part plus en croisade ?

- Braquemart est parti à la suite du seigneur Tristan de Prozac, honneur de notre duché, et qui n’est malheureusement point revenu de sa glorieuse expédition. Dans quelles régions reculées habitez-vous donc pour ne point en avoir entendu parler ?

Sans doute débat aurait pu se poursuivre, mais l’alberguière ne se calmait point, mains aux hanches, elle hurlait, larmoyait et menaçait sans discontinuer un Braquemart qui se frottait le crâne à deux mains et ne comprenait pas quel traquenard avait pu lui tomber sur le chef.

- Enfin Gabriella, c’est insupportable. Si gueuler lui tient à cour, que cela ne l’empêche pas de laisser entrer honnête soiffard !

- Je crains qu’affaire ne soit un peu plus sérieuse que nous le pensions.

- Comment cela ?

- Laissez, je vais lui parler.

Suivi un long échange en dialecte du cru où, entre sanglots, force gestes et coup de semelle dans les côtes du chevalier, la matrone s’expliqua, le pleur à l’oil et l’écume aux lèvres.

Gabriella se retourna vers le forgeron.

- Elle prétend qu’aîné sien est fils de Braquemart.

Gobert en resta longues secondes bouche bée alors que la tenancière continuait sa harangue, à gros flots de voix qui lui remontaient droit du cour. Puis il se reprit et tonna dans les basses comme il savait le faire en taverne, lorsque pour conter histoire bonne il fallait gueuler plus fort que tout autre, plus que le Gros Louis, Le Berthoux et Braquemart surtout !

- Il suffit ma bonne Dame ! Puisque sujet est d’importance, il convient que nous en discutions avec sérieux. Et comment voudriez-vous que nous procédions, au seuil de votre taverne, mon compère assommé et moi souffrant les affres de gorge sèche ? Alors asseyons-nous, sortez cruchon et parlons, sans quoi j’irai moi-même à bouteille sans que vos cris et votre casserole ne puissent m’en détourner.

Il se tint droit et digne tandis que Gabriella, louvoyant entre les explosions vocales, essayait de traduire le message. Enfin la femme se recula. Gobert alors se baissa pour ramasser Braquemart qui avait belles bosses et ne remuait qu’à peine. Il le chargea sur son épaule et le reposa ventre en bar, le nez non loin des fûts, sûr que parfum de piquette accélérerait son réveil d’autant qu’il le faudrait.

Lorsque tenancière apporta verres à la table où Gobert s’était assis d’autorité, sa rage avait laissé place aux larmes. Gabriella traduisait à mi-voix.

- Elle dit que le chevalier a brisé sa vie et que nous ne nous en tirerons pas ainsi !

 
 
Plus près de toi mon pieu.