Chapitre IV
 
     
 
Épisode 010
 
     
 

Sa tête repose sur l’herbe fraîchement coupée. Une brise délicieuse lui caresse le visage tourné vers les rayons du soleil. Il fredonne les yeux clos, encouragé par les mésanges qui piaillent autour de lui. Le temps est devenu lumière. Au loin, le tintement des cloches du village se marie avec le chant des oiseaux. La musique délicate s’insinue dans ses oreilles, serpente dans ses tympans, bourdonne dans sa tête et fait exploser son crâne. Exploser son crâne ?

Robin se redressa en sursautant, ce n’étaient pas les cloches de l’église qui sonnaient, c’était son réveil. Sans ouvrir les yeux, il tâta le plateau de sa table de nuit, localisa l’objet et appuya violemment sur le bouton d’arrêt. Mais la sonnerie continua, insistante. Ce n’était pas le réveil qui jouait les rabat-joie, mais le téléphone. Robin ouvrit les yeux, alluma la lumière Son téléphone sans fil avait une vie propre qui échappait à toute logique. D’ailleurs, Robin avait depuis longtemps cessé d’essayer de comprendre le fonctionnement de cet engin qui avait la faculté de disparaître, englouti par le désordre ambiant. Finalement, il dénicha le combiné derrière un coussin du canapé.

- Inspecteur Robin Morales ?

Le « oui » prononcé avec l’accent rauque du dormeur suffit à son interlocuteur pour poursuivre.

- Pierre Moulin, adjoint du maire. Désolé de vous réveiller, mais Monsieur Porchet, chef du département de Justice et Police voudrait vous rencontrer d’urgence.

- D’urgence ? Que se passe-t-il ?

- Oui, d’urgence. Il vous expliquera. Venez dès que possible. Nous vous attendons dans mon bureau.

Résigné, Robin balança le téléphone sur le lit et se traîna jusqu’à la salle de bain.

Une heure plus tard, lorsqu’il franchit le seuil du bistrot, la pluie avait enfin cessé. Robin s’assit à sa table préférée, celle qui flirtait avec la grande fenêtre ronde. La vitre était couverte de buée, comme si la brume matinale était venue boire un verre pour chasser son humeur maussade. Cette année, le printemps tardait à se pointer. La nature hésitait entre se lever ou rester couchée dans son lit de feuilles mortes. A Genève, dans cette ville ballottée entre le vent et la bise, les gens vivaient douze mois par année dans l’entre saison. Du brouillard au printemps, un été pourri, un automne glacial et un hiver trop doux. De la neige, oui. Trop ou pas assez, mais jamais au bon moment.

Dehors, les lampadaires s’éteignirent les uns après les autres, comme des bougies d’anniversaire soufflées par un asthmatique. Timide, la lumière du jour se faufila entre les tables du bistrot.

En apercevant Robin, la serveuse apporta un café au lait sans attendre la commande. L’Inspecteur Morales buvait toujours un café au lait le matin. Mais il venait rarement aussi tôt.

Après avoir vidé sa tasse, englouti deux croissants et un petit pain au chocolat, Robin alluma la cigarette de la journée. Peut-être pas l’unique, mais la seule que la partie raisonnable de sa conscience assumait sans grogner. En fermant les yeux pour savourer la première bouffée, il repensa à son entretien avec le conseiller d’État.

- Inspecteur Morales, le corps d’un homme sauvagement poignardé a été retrouvé ce matin dans une ruelle de la vieille ville. D’après les papiers retrouvés sur lui, il s’appelle Nicolas Di Lupo.

Ce nom ne lui disait rien. Robin attendit la suite. Il sentait la gêne du politicien qui s’était levé et qui contemplait sa collection de pipes les mains fourrées dans ses poches.

- Je veux que vous vous occupiez personnellement de cette affaire. A cause de ça.

Porchet sortit un papier gondolé de sa poche et le tendit à Robin. C’était un carton d’invitation pour une exposition de peintres impressionnistes à la galerie Maudet.

- Nous l’avons retrouvé dans la poche intérieure de son imperméable. Le vernissage a eu lieu hier. Inspecteur vous vous souvenez de Paolo Calvi, une des victimes de l’affaire de la station service ?

- Oui, bien sûr. A l’époque, c’est l’inspecteur Borel qui dirigeait l’enquête, mais toute l’équipe avait participé. Un drame particulièrement sordide qui n’a jamais été résolu. Un point noir dans l’histoire de la brigade. D’ailleurs, Borel n’a pas supporté cet échec, il s’est retiré un an plus tard, lorsque l’affaire a perdu son statut prioritaire.