Chapitre IV
 
     
 
Épisode 012
 
     
 

Pour la centième fois de la matinée, Claude regarda l’heure sur la pendule accrochée au mur de la grande salle d’exposition. Neuf heures. C’est incroyable comme les gens ne changent pas ! A l’époque, déjà, Nicky arrivait toujours en retard. La tendresse qu’elle avait éprouvée pour lui ce matin en se réveillant commençait à dégénérer en colère. Elle se souvenait des soirées ratées, des films amputés, des personnes blessées, des excuses bidon et de l’attente. Attendre que Monsieur daigne arriver. Et se confondre en gratitude lorsque finalement il se pointe.

Pendant leur liaison, elle avait supporté ces retards, pire elle les avait cautionnés. Elle comprenait. Nicky était un original, il échappait aux règles imposées par cette société régie par des hommes pressés. Un original ? Tu parles ! Orgueilleux et égoïste, oui. Il se considérait au-dessus de ces contraintes temporelles. Ses retards signifiaient qu’il avait eu des affaires plus importantes à traiter avant. Avant de la retrouver, elle, Claude. La petite Claude insignifiante, celle que l’on pouvait laisser poireauter.

Pourtant, lorsque Nicky s’était finalement rendu compte que Paolo chassait sa fiancée, il avait supplié : « Je te promets, je vais faire des efforts, je vais changer, m’occuper de toi ». Mais ces belles paroles arrivaient trop tard.

Les bras de Paolo l’étreignaient si fort, si tendrement. Avec lui, elle se sentait belle, invulnérable, une reine. Paolo lui donnait de la force, la rendait plus vivante.

Nicky avait été extrêmement blessé par leur rupture. Quelques mois plus tard, il était parti à l’étranger. Elle ne l’avait jamais revu.

À dix heures et demie, Claude avait fini de ranger les restes du vernissage de la veille. Nicky ne viendrait plus, il avait dû changer d’avis. Elle fouilla dans son sac et dénicha des comprimés contre la migraine qu’elle avala avec une gorgée d’eau. En relevant la tête, elle surprit son image dans le miroir. Sa mauvaise nuit avait laissé des traces sur son visage, plus particulièrement sous les yeux. Des poches verdâtres boursouflaient sa peau fatiguée. Les cauchemars de Lilie avaient recommencé et les nuits d’insomnies aussi. Hier soir, en rentrant du vernissage, elle avait trouvé sa fille terrée dans la salle de bain. Elle était assise sur la cuvette des toilettes, dans le noir, comme un petit animal pris au piège d’un prédateur fantôme.

La sonnette de la porte d’entrée retentit. Deux notes dissonantes. Elle sortit de la cuisine, posa son sac dans l’entrée et alla ouvrir.