Chapitre XVIII
 
     
 
Épisode 084
 
     
 

Il l’observait depuis le début de la soirée et lorsque Florence disparut, il comprit immédiatement pourquoi. Elle allait lui téléphoner. D’abord à l’hôtel, puis sur son portable. Inutile de la suivre, il avait pris soin d’éteindre le téléphone avant de s’en débarrasser.

La vente du Friedrich captivait l’assemblée, pourtant il avait l’impression que tous les regards étaient tournés vers lui. Lorsque l’huissier leva son marteau, il sentit une goutte de transpiration dégouliner le long de son cou avant de comprendre pourquoi il avait si chaud. Ce n’était pas la chaleur qui l’oppressait, c’était la panique.

Le téléphone de Fortis. Il voulait l’éteindre et s’en débarrasser, mais dans sa hâte il ne l’avait pas fait. Il s’était occupé de la valise, mais il avait oublié le téléphone dans la Jaguar.

Le marteau s’abaissa lentement, un bruit sourd suivi de murmures résonna dans ses oreilles. Comment avait-t-il pu être aussi stupide ? Ses réflexes de maniaque l’avaient trahi, il l’avait laissé dans la poche du siège conducteur, là où il mettait le sien d’habitude. Florence allait laisser un message. Quand les flics retrouveraient la voiture de Fortis, ils écouteraient le message et comprendraient. Il devait récupérer le téléphone. Et vite.

Des applaudissements fusèrent. Il se força à sourire, surtout ne pas se faire remarquer. Réfléchir. Trouver une solution. Florence se tenait debout au fond de la salle. Son visage pâle était tourné vers l’entrée. Elle l’attendait. Mais il ne viendrait pas, et lui seul le savait. Cette idée le calma. Finalement, l’oubli du téléphone n’était qu’un fâcheux contretemps dont il s’occuperait ce soir même.

Il ne devait pas s’inquiéter, personne ne découvrirait le corps avant plusieurs jours.

***

David était en retard. Son entretien avait duré plus longtemps que prévu. Il pesta en augmentant le volume de la radio. La circulation en ville devenait impossible, il aurait mieux fait de prendre le bus. La pluie déferlait sur son pare-brise comme si elle voulait s’engouffrer dans l’habitacle. C’était un naufragé des temps modernes assis bien au chaud dans sa voiture.

Par association d’idées, cette image lui fit penser au Friedrich. L’homme en noir debout face à la mer déchaînée. Depuis quelques jours, il pensait souvent à cet homme qui lui rappelait le personnage masqué à trois pattes du dessin de Lilie. Ils ne se ressemblaient pas vraiment, mais ils avaient la même allure, fière et pathétique à la fois.

Il arriva à la galerie au moment de la vente du Friedrich. La lumière vive de la grande salle l’aveugla et ses yeux mirent quelques secondes à s’adapter. L’assemblée muette fixait l’huissier perché sur l’estrade. Alors il vit Porchet se lever et s’avancer sur le devant de la scène. Il souleva le tableau du chevalet et le montra au public qui applaudit avec enthousiasme.

Porchet venait d’acheter sa notoriété en partie avec leur argent, mais la plupart d’entre eux ne s’en rendaient même pas compte.

David se détourna écœuré, il ne voulait pas assister à cette mascarade. Il partit à la recherche de Claude, où pouvait-elle bien être ? En se dirigeant vers la cuisine, il croisa Florence. Elle ne le salua pas, et il se demanda pourquoi. Alors il remarqua ses traits crispés et sa démarche hésitante. Florence était malade, ou inquiète, ou les deux. Elle posa son téléphone portable sur la commode de l’entrée et s’immobilisa, l’oreille tendue, comme si elle guettait un signe venu de l’extérieur.

La cuisine était plongée dans la pénombre. David allait repartir lorsqu’il entendit un soupir. Alors il distingua la silhouette d’un homme assis. C’était Philippe. Il ne voulait pas lui parler, pas maintenant, pas avant d’avoir vu Claude. Mais Philippe se retourna et lui dit de rester. Il avait l’air pitoyable dans son costume fripé. David prit un tabouret et s’assit à ses côtés. Philippe but tranquillement son café, comme s’il avait oublié sa présence. Finalement il dit :

– Je regrette notre dispute de l’autre jour. Depuis quelque temps, ma vie semble se désintégrer et je t’en ai rendu responsable. Paolo était un coureur, elle méritait quelqu’un de mieux. Un homme qui lui offrirait une vie harmonieuse, stable. Mais Claude ne m’aime pas et depuis notre dispute, je me rends compte que j’ai aussi cessé de l’aimer. Quel gâchis. Finalement Paolo est mort pour rien.

En entendant ces mots, David se crispa. Philippe était en pleine déprime, mais ce n’était pas un assassin. Pas lui. Pourtant le doute s’était insinué dans son esprit, il devait connaître la vérité. Mais à cet instant, Claude surgit, alluma la lumière et dit :

– Vous n’avez pas vu l’inspecteur Morales, on le demande au téléphone, c’est urgent.