![]() |
||||
Chapitre XVII |
||||
Épisode 083 |
||||
La pause était terminée. L’huissier engloutit la dernière bouchée de son mille-feuilles, s’essuya la bouche et se dirigea vers son estrade. Edouard avait installé le tableau de Friedrich sur le chevalet à sa droite. Le petit homme ajusta ses lunettes, se racla la gorge et se mit à lire d’une voix monocorde : – Caspar David Friedrich, peinture à l’huile sur toile, 1818. Le personnage en redingote noire situé au premier plan a été repris par l’artiste dans le célèbre tableau « Voyageur contemplant une mer de nuages » exposé à Hambourg. Mise à prix, cinq cent mille francs. A l’annonce de ce chiffre, un murmure parcourut l’assemblée. L’huissier se tenait debout, très droit, son marteau brandit en avant comme pour donner la bénédiction. Le murmure cessa. Les secondes silencieuses laissèrent pénétrer les bruits de l’extérieur, le sanctuaire était devenu perméable. Alors Porchet se leva, se rapprocha lentement du tableau, regarda l’assemblée et dit : – Six cent mille. Robin devait avouer que son chef avait de l’audace. Les finances de l’Etat voguaient dans le rouge, on gelait les primes des fonctionnaires, on réduisait les effectifs des représentants de l’ordre, les contribuables manifestaient leur mécontentement dans la rue, mais Monsieur Porchet, bien ficelé dans son smoking de maquereau s’offrait un caprice à six cent mille balles. L’huissier était imperturbable, ce n’était pas un homme qui se laissait impressionner par des grosses sommes, il en avait vu d’autres, et il voulait rentrer chez lui, sa femme lui avait promis un ragoût de bœuf et il adorait le ragoût de bœuf. Au moment où son marteau frappa le troisième coup, Robin regarda Edouard. Il se tenait debout derrière l’estrade, très droit, le regard perdu dans le vide, comme si toute cette mascarade autour de son tableau préféré ne le concernait pas. *** Florence profita de la vente du Friedrich pour s’éclipser. Il fallait absolument qu’elle l’appelle. Il était plus de dix heures et Richard n’était toujours pas là. Elle composa le numéro de son hôtel. La voix suave de la réceptionniste lui dit que monsieur Fortis était parti ce matin, comme prévu. Elle raccrocha et appela son portable. Les sonneries se succédèrent comme d’interminables points d’interrogations dans son esprit tourmenté. Réponds ! Réponds ! Alors une voix métallique interrompit les sonneries et lui demanda de laisser un message. Elle bredouilla quelques mots puis raccrocha. Un vent de panique la submergea. Il l’avait abandonnée. Il était parti sans oser lui avouer qu’il avait changé d’avis. Sans oser lui dire qu’il ne voulait pas s’encombrer d’une femme futile et capricieuse. Parce que c’était bien ce qu’elle était. Une dinde qui avait cru au prince charmant et failli tout plaquer pour un égoïste. Mais une petite voix s’éleva pour faire taire les autres et ramener Florence à un peu de bon sens. Richard avait eu un empêchement, il ne l’aurait jamais abandonnée, il allait arriver dans quelques minutes. Et ensuite, ils partiraient, ensemble. Mais les quelques minutes passèrent et Richard n’arriva pas. |
||||
© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
||||
![]() |