![]() |
||||
Chapitre XVII |
||||
Épisode 082 |
||||
La colère de Philippe n’avait pas échappé à Robin. Il était assis au dernier rang, face à l’estrade. Excellent poste d’observation. Personne ne faisait attention à lui, l’assemblée était concentrée sur l’huissier qui battait la mesure avec son marteau. Philippe et Claude se disputaient, mais leur scène de ménage l’intéressait moyennement, il guettait l’arrivée de Porchet. Depuis une demi-heure, Edouard Maudet regardait sa montre d’un air inquiet. Son meilleur client avait du retard et l’huissier voulait rentrer chez lui. Robin avait tenté de rassurer Edouard. Son chef était un homme surchargé mais il tenait toujours ses engagements. Effectivement, quelques minutes plus tard, le conseiller d’Etat, fit son entrée dans la galerie. Il ne passait pas inaperçu avec son smoking grenat et sa cravate orange. Porchet aimait le luxe, mais une fois de plus Robin se dit qu’il n’avait aucun goût. *** Florence se dirigea vers le conseiller d’Etat. En passant devant le miroir de l’entrée, elle jeta un coup d’œil à cette femme crispée qui souriait bêtement pour masquer son trouble. Richard allait arriver d’une minute à l’autre. Elle soupira en songeant qu’elle n’aurait bientôt plus à supporter cette mascarade. – Chère Florence, toujours aussi ravissante. Elle répliqua que oui, elle le savait, le temps n’avait pas de prise sur elle. Mais Porchet ne releva pas l’ironie, il était trop occupé à taper dans les petits fours. – Délicieux, comme toujours. D’ailleurs, je viens ici pour le buffet, les tableaux ne sont qu’un prétexte. Il souligna cette sortie d’un rire gras qui écœura Florence. Ce soir Porchet se surpassait. Il était encore plus répugnant que d’habitude. Des miettes de tartelette au citron nichaient dans les commissures de ses lèvres et des traînées rosâtres tapissaient le col de sa veste. Et ses dents. Jaunes avec du brun sur les bords, des dents sales et aiguisées qui puaient le politicien véreux. Mais la pièce n’était pas terminée, Florence devait jouer son rôle, elle sourit et lui dit : – Vous arrivez juste à temps pour la vente du Friedrich. Porchet se rapprocha d’elle et lui murmura : – Ce cher Edouard m’aurait attendu. Je suis son meilleur client. Il soupira en levant les yeux au ciel. Les temps sont durs pour tout le monde. Les œuvres d’art n’échappent pas à la crise. On peut vivre sans tableaux, mais tout le monde doit manger. Il lui fit un coup d’œil complice. Heureusement que nous avons notre petit arrangement. Entre amis on doit se tenir les coudes. D’ailleurs, il est délicieux ce champagne, pour le prix ce serait dommage de s’en priver. Florence lui tendit machinalement le plat de griottes au chocolat. Elle ne s’était jamais intéressée aux magouilles de Porchet. C’était Edouard qui s’en occupait. A propos d’Edouard, où était-il passé ? Enfin elle l’aperçut près de l’estrade. Il semblait chercher quelqu’un. Leurs regards se croisèrent mais Edouard ne sembla pas la voir. Il regardait derrière elle, en direction de l’entrée. Richard. Richard venait d’arriver et Edouard était au courant pour eux. Florence se retourna brusquement. Mais l’entrée était vide. Elle devait se calmer. Tout se déroulait comme prévu, Richard avait juste un peu de retard. Porchet venait de lui dire que plusieurs accidents bloquaient la circulation en ville. Enfin sorti de sa léthargie, Edouard leur fit un signe amical de la main et se dirigea lentement vers eux. Il avait l’air épuisé. En remarquant le léger boitement de son mari, Florence ressentit une bouffée de tendresse. Il avait une jambe plus courte que l’autre, une différence de quelques millimètres, rien de grave. Mais Edouard, amoureux de la perfection avait honte de ce défaut et il masquait cette malformation par une semelle compensée. Il ne boitait que lorsqu’il était très fatigué. Etrangement, cette imperfection le rendait vulnérable. Florence eut envie de le prendre dans ses bras, une dernière fois, pour se faire pardonner de sa traîtrise. Mais Edouard ne s’intéressait pas à elle, il faisait des courbettes à Porchet. Elle s’excusa et laissa les deux hommes entre eux. En s’éloignant, elle trébucha sur la canne du conseiller d’Etat. Porchet la rattrapa de justesse par le bras. Florence le remercia. En arrivant dans la cuisine, elle regarda son bras nu. Des traces rouges marbraient sa peau. |
||||
© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
||||
![]() |