Chapitre XXIII
 
     
 
Épisode 104
 
     
 

La ligne d’horizon disparut dans la nuit. Autour du rocher, l’eau sombre continuait de monter, pourtant Edouard ne bougeait pas. Il aimait sentir le souffle froid de la mer lui raconter des histoires de marins égarés dans la tempête. Ses chaussures étaient trempées, comme le soir de la mort de Nicky.

Nicky avait tout gâché. Sa présence à la galerie avait ranimé sa haine. Cet intrus devait disparaître, il n’allait pas le laisser fouiner dans ses affaires. Alors, il l’avait tué. Sans réfléchir, certain que ce meurtre serait le dernier. Mais il s’était trompé. Richard Fortis fit son apparition quelques jours plus tard. Et ses certitudes se muèrent en doutes insupportables. Un meurtre en appelait un autre, il était happé dans un engrenage de violence qu’il ne contrôlait pas.

Fortis mourut presque par hasard. Edouard se souvenait de l’odeur âcre qui flottait dans la pièce, un mélange de sueur et de sang frais. Agenouillé près du corps, il avait regardé, fasciné, la flaque rouge dessiner des formes gracieuses sur le parquet lisse.

Ensuite, tout s’était emballé, jusqu’à l’accident. Edouard ferma les yeux, sa mort l’avait rendu immortel.

Alors pourquoi s’en faire ? Cet article ne le concernait pas. Il déplia le papier humide et regarda la photographie. Les couleurs avaient disparu avec le jour, mais les contours des personnages restaient visibles. Florence et Philippe souriaient devant une toile barbouillée de traits gris. Le journaliste appréciait l’audace de la nouvelle direction artistique de la galerie Maudet qui avait choisi d’exposer des jeunes talents.

Florence avait l’air si heureuse, elle portait une robe blanche qui brillait dans la lumière du flash. Sur sa main gauche, une bague qu’il ne connaissait pas semblait le dévisager pour lui transpercer le cœur. Légèrement en retrait, Philippe avait un bras posé sur son épaule dans une attitude vulgaire et arrogante.

Non, tout cela ne le concernait plus, mais il n’arrivait pas à détacher son regard de la silhouette blanche. Pourtant, ce n’était pas une histoire d’amour. Il ne l’aimait plus depuis longtemps, peut-être bien qu’il ne l’avait jamais vraiment aimée. Mais Florence était encore sa femme. Même si elle ne le savait pas.

La marée allait bientôt recouvrir son rocher. Edouard se leva et s’immobilisa dans la même position que l’homme en noir du tableau.

L’eau glacée mouillait ses chevilles, pourtant il ne bougea pas. Ce soir, il avait envie de se laisser aller, de s’abandonner au destin des eaux tourbillonnantes qui l’entouraient. Il n’avait rien à faire, juste attendre que la mer vienne le chercher. Il était prêt.

Mais Edouard n’avait pas de patience, après tout, c’était un homme d’action. Il plia la feuille de papier journal, alluma sa lampe de poche et rejoignit la plage. En montant lentement les escaliers en pierre qui menaient à sa maison, il songea qu’il était temps d’aller récupérer le tableau.

Alors la lune chassa les nuages et éclaira la nuit.

En regardant le ciel étoilé, il se dit qu’il pourrait profiter de son voyage pour rendre une petite visite à Philippe.

FIN