Ceux de Corneauduc
Premier épisode
Chapitre I
iantre qu’il fait froid... Tous mes os sont roidis, et même pire... Je féconderais toutes les coquettes du bourg et toutes les vilaines et les serfesses des alentours sans effort, sans remuer du fessier pour me faire monter les idées, si toutefois je ne me sentais si sec à l’intérieur... Ma gorge ressemble à une botte de foin chauffée aux enfers... Bougremissel ! Mon vieux Braquemart, j’ai Dieu besoin d’une chopine !, s’exclame Gobert Luret, artisan forgeron du village de Minnetoy-Corbières.
Ledit Braquemart, baptisé Alphagor Bourbier sous le sage clocher du bourg, s’assied et met fin à la diatribe en frappant du poing la table qui, bien qu’elle en ait vu d’autres, ne s’enfonce pas moins de quelques pouces dans le sol fangeux de la taverne.
– Calme-toi, foutredieu ! Et pose ton cul bien à plat. Ton ventre est déjà pis qu’outre pleine et les relents qu’exhale la fosse qui te sert de bouche m’assure que tu n’es que fieffé menteur et que tu as déjà dû engloutir de quoi noyer toute la ville. Qu’à cela ne tienne... Buvons ! J’ai moi-même grand-soif, ayant parcouru ce jour quatre lieues uniquement pour les beaux yeux d’une accorte garce peu avare de ses appas. Si tu avais pu voir l’hommage que je lui ai présenté, ta légère roideur due au froid qui te court de par les os te semblerait émoi de nourrisson. Tavernier !
Le tenancier des lieux, maître Morrachou, homme trapu et peu affable, quitte à regret son comptoir et s’avance vers les deux compères. Il cache ses mains aux ongles en deuil sous son tablier de cuir râpé mais cela ne trompe personne : la taverne du Sanglier Noir n’est pas réputée pour sa propreté mais bien pour les beuveries et agapes qui y sont perpétrées ainsi que pour tout ce qu’elle compte de femelles avenantes au corsage lâche, et peu farouches du cotillon.
– Si vous voulez boire, faudra d’abord me montrer la couleur de votre argent. Qui boit, paie et qui paie, boit. Ainsi en est-il en cette maison.
– Ta maison n’est qu’un bouge grouillant de rats, maraud ! Si tu ne veux pas subir le sort de ces six espagnols qui m’ont fait l’affront de croiser mon chemin ce matin, tu ferais mieux de nous servir à boire, aussi vrai que mon ami Gobert, ici présent, est le plus grand forgeron de tout le Duché. Sa meule fait des étincelles et les lames qui sortent de son atelier se marient à merveille à ma dextre, ma dextre qui pourrait bien sauter au fourreau si tu ne nous offrais point chopine...
– Je passe ma vie à vous offrir chopine... À toi pour que tu reprennes salive afin de nous éructer galéjades et à ton imbibé compagnon qui ferait mieux de s’occuper des cornes qui lui poussent au front, et qui se voient de tout le bourg, plutôt que de s’employer à vider mes fûts...
Le forgeron, piqué au vif, s’arrache de son siège et saisit le tavernier au col.
– Quoi ?! Les cornes qui me poussent au front ?! Oserais-tu douter de la vertu de ma mie ? Bougremissel ! Qu’on me retienne ! Qu’on me retienne, bourgeois et citoyens, ou ce triste gredin, cet infâme assoiffeur, bouillira dans mon courroux ! |