Ceux de Corneauduc
Quatre-vingt-septième épisode
Chapitre XVIII
Fanchon se tient adossée contre la porte, elle détourne et baisse légèrement la tête comme il se doit à jeune fille qui ne veut paraître vaincue, qui se sait de vertu.
– J’ai cru que jamais vous ne daigneriez vous approcher de moi, noble chevalier.
Braquemart s’appuie d’une main sur le chambranle au-dessus de la jeune fille, et se penche sur elle.
– L’homme qui a soif est impatient. Et l’impatience n’est guère chère au cœur des jouvencelles. J’ai bu céans ce qu’il me fallait pour être tout à vous dans la sérénité et le calme de ce matin qui ne naît que pour enchanter vos prunelles douces comme ambroisie d’Abyssinie.
Fanchon redresse la tête. Ses yeux sont emplis de questions. Elle parle d’une voix si menue que Braquemart doit s’avancer pour mieux l’ouïr, ce qui lui permet d’inspecter tétins de plus près.
– Je veux être celle que chevalier emmène. J’ai foi et témérité pour connaître vie de route et d’angoisse. Mais je ne serai pas celle que chevalier abandonne sur la paille au matin, déshonorée...
Les yeux perdus sur la poitrine de Fanchon, Braquemart répond en un murmure :
– N’ai-je point moult fois prouvé au cours de ma vie que j’étais digne de confiance ?
La voix qui lui répond n’est pas celle qu’il attendait :
– Toutes les femmes que tu as laissées en couche ou à la fureur de leur père en sont convaincues et ne t’oublient pas dans leurs prières...
Gobert tangue, le doigt pointé vers l’avant, l’œil noir, et psalmodie plus qu’il ne parle.
– Depuis quand te plais-tu à te prendre pour curé, outre à vin ?
– Cette jeune fille t’offre son cœur et son honneur, et toi, tu ne songes qu’à la trousser pour lui tâter le dessous !
– Les jeunes filles que j’honore en gardent inoubliables images qui leur laisse l’œil humide lustres plus tard. Et jamais comme ta femme elles n’iraient ouvrir leurs voiles sur d’autre mats !
– Les jeunes filles que tu déshonores finissent leurs jours au couvent et, entre jeûne et prière, elles n’ont que tes vaines promesses à ressasser, poids du démon sur leur conscience !
Le ton commençant à monter par trop, Fanchon s’interpose entre les deux compères, levant des yeux éplorés sur Alphagor.
– Qui êtes-vous chevalier ? L’âme fière qui saura aimer ou le triste trousseur des tavernes ?
Braquemart jette un regard furieux de côté de Gobert qui demeure aux aguets, puis c’est aux yeux de Fanchon qu’il offre les siens. Il dit d’une voix blanche :
– Il est, je crois, hommes qui font moins couler de larmes sur les joues de leur épouse au cours d’une vie que je ne le fais en une seule nuit. Je crains que partager ma couche ne serait votre malheur.
Fanchon cache son visage, et glisse en un sanglot.
– Votre franchise est lourde à mon cœur autant qu’elle est douce à mon honneur, à mon avenir de digne femme.
Et elle remonte vers sa chambre à pas rapide alors que Braquemart se tourne lentement vers Gobert, le nez fumant comme dragon. |