Ceux de Corneauduc
Cent vingtième épisode
Chapitre XXII
La porte de l’auberge s’ouvre à la volée. Haletant comme chien de berger, la langue pendouillant plus bas que menton, Braquemart s’écroule sur le sol, Gobert sur le dos, en poussant une volée de jurons
– Je ne sais si c’est d’être cocu qui t’alourdit les entrailles, Ventrapintes, mais, par ma foi, tu pèses plus que ta forge !
Braquemart rampe sous son ami et s’en dégage en ruant fort du fessier. Il se relève enfin, peinant à reprendre souffle et rajuste en maugréant son pourpoint malmené. Il lève les yeux et alors seulement remarque l’assemblée qui le contemple, ébaubie. Il y a là la Duchesse, un chevalier et huit soldats en armes ainsi qu’un gros homme qui ressemblerait à s’y méprendre au Duc de Minnetoy-Corbières s’il n’était si livide. Tous garde silence, bouche bée.
Braquemart accorde une brève génuflexion en direction de la Duchesse.
– Votre Seigneurie... Je vous prie d’excuser cette peu digne entrée, mais mon compère s’est fait arbalèter la couenne et daguer le lard et comme les deux brigands dorment sur le cheval du bandit et que le Gamin se traîne le sorcier par les pieds j’ai dû me le charger sur le dos depuis la colline aux pendus et ce gros tas qui boit sans conteste plus souvent qu’il ne pisse pèse plus lourd que bœuf mais qu’on ne nous donne ne serait-ce qu’une goutte de...
– Bourbier de Montcon, vous êtes l’honneur du Duché !
– Plaît-il ?
Braquemart se tourne vers le gros homme qui lui tend les bras. Cette voix... foutredieu ! Ce ne peut être que le Duc ! Prestement, il pose genou à terre et baisse le front, le poing sur le cœur.
– Mon ami, mon héros, relevez-vous et venez à ma table pour me conter vos exploits !
– Ce n’est pas là grand exploit, votre lumignon. Certes Luret fait bien ses 200 livres et se le transporter sur les reins n’est point fait de mauviette... mais le bandit en avait coupé quelques petits bouts et puis...
– Cessez vos modesties et racontez-nous tout du début. Je veux entendre de votre bouche de chevalier, de croisé, comment vous sauvâtes mon épousée, comment vous trompâtes la vigilance du Rang Dévaux et quel sort vous lui réservâtes.
Braquemart cherche le regard de la Duchesse qui détourne les yeux. Il sent une sueur froide lui courir le dos. Puis un sourire lui point aux lèvres.
– Mon Seigneur et Maître, je puis combattre le Huns et bouter l’infidèle, je peux prendre lieu saint ou citadelle ennemie, mais il est une chose que je ne puis, votre suzeraineté, c’est narrer gorge sèche ! |