Ceux de Corneauduc

Cent quarante-quatrième épisode

Épilogue

e Duché de Minnetoy-Corbières a dressé pavois pour fêter l’annexion de la Baronnie de du Rang Dévaux. Mais l’insurrection de Dame Marthe Coulombier, dont nul ne parle trop haut même en taverne, qui entraîne aux armes citoyens et paysans, les appelle à se révolter contre le Duché et se fait maintenant appeler marquise, est sévère tache au blason ducal. Et ceci explique que les célébrations de la glorieuse expédition sont quelque peu discrètes. Le Duc ne semble pas pressé de reprendre campagne pour châtier la vilaine ; elle lui a laissé un bien trop cuisant souvenir. Alors il passe temps en chasse, sur une selle fort moelleuse, et attend son héritier le front fier.

À la taverne du Sanglier Noir, Morrachou sue Dieu mauvais à remonter tonnelets de cave aussi vite que gorges gueulardes et altérées le lui intiment. Tous les soiffards du bourg s’y sont assemblés pour compenser festivités chiches en faste et avares en breuvages.

Attablés tout au fond, Alphagor et Gobert devisent mollement en vidant chope sur chope. Au détour d’une phrase, le forgeron pousse un long soupir.

– Voilà seulement trois jours que nous sommes rentrés et déjà me manquent les deux brigands ! Je n’aurais pas cru cette chose possible.

Braquemart lève son verre comme s’il trinquait à leur santé.

– Il faut dire que deux semaines de ripailles comme nous connûmes avec eux tissent des liens. L’amitié est comme l’acier ; plus on le trempe et plus il est fort !

Les deux amis entrechoquent leurs godets sans mot dire.

Le Berthoux, titubant déjà, vient s’asseoir à leur table, manquant faire choir Alphagor en le poussant du coude.

– Dis-nous, Braquemart, il y a des rumeurs...

– Il y a toujours des rumeurs, le Berthoux, et ta grande bouche ouverte à tous les vents en exhale plus que toutes les commères du Duché réunies.

Le charpentier ne se laisse pas désarçonner par rebuffade et hausse le ton.

– Braquemart, puisque nous sommes entre nous. Fis-tu vraiment quelque galanterie à la Duchesse ? Encornas-tu le Duc de plus que de lapins ?

Les verres restent en suspens entre tables et bouches et les regards se tournent vers le fond de la taverne. Braquemart boit une longue gorgée en toisant l’assistance par-dessus le rebord de son godet. Il repose lentement chope sur table et se lève.

– Messieurs, sachez que la vertu de notre suzeraine n’est point sujet de comptoir. Ce que je puis toutefois vous confier, c’est que sang bleu point ne force cuisses à se sceller.

Un murmure parcourt l’assistance alors que le Berthoux se perd en évocations, un sourire niais flottant dans sa barbe.

– Et, j’ajouterai que, puisque qu’à la monture se jauge le cavalier, notre Duc est homme de goût qui...

Gobert éclate d’un gros rire et claque le dos de son ami par-dessus la table.

– Bougremissel ! Que je l’aime quand il fanfaronne !

– Il suffit, Ventrapinte ! Comment t’autorises-tu à m’interrompre ?

Mais l’assistance reste pendues aux lèvres de Braquemart, faisant fi de l’interruption. Le gros Louis se lève et, le ton presque respectueux, dit :

– Alors, Alphagor, peut-être est-ce tienne chair qui habitera un jour au château.

Et Braquemart savoure cet instant, distillant paroles de fausse retenue.

– Non. Seul sang bleu peut engendrer sang bleu. Malgré coeur que j’ai pu mettre à besogne, je n’oserais tant affirmer...

Gobert se lève, les joues empourprées, et fracasse son godet sur la table.

– Mais écoutez-le, ce fat, qui vous prend tous pour des outres vides ! Vous n’allez pas avaler ses galéjades, bougremissel !

Des murmures réprobateurs ponctuent l’intervention de Ventrapinte. Braquemart se retourne et le saisit au col.

– Si tu besognais ta femme comme j’ai besogné la Duchesse, peut-être n’aurais-tu pas à jouer du coude pour gagner ton lit, bougre d’encorné !

Le sang quitte le visage de Gobert Luret et il serre les poings à les casser.

Alors s’ouvre porte de taverne. Quatre gardes entrent, s’écartent et laissent passer l’infâme Eustèbe Martingale. La tête juchée au haut de son cou de poulet, teint gris et haleine rance, il regarde avec dédain l’assemblée.

– Maître Morrachou, je viens sévir. Je t’ai déjà rappelé de verser gabelle et tu ne t’es point encore exécuté.

Mais son intrusion est à peine remarquée, tous les solides soiffards entourent Braquemart et Gobert qui s’empoignent et roulent dans les tessons et les injures.

– Silence, manants, silence ou il y aura du bâton ! siffle-t-il, le ton mauvais.

Et dans la taverne du Sanglier Noir, tous se taisent. Tous sauf deux.

 

FIN

Michael Perruchoud
Sébastien G. Couture

Genève, 16 août 2004

(Ne manquez pas, le 24 janvier 2006,
le retour de Ceux de Corneauduc
dans une nouvelle aventure :
« L’Héritier de Minnetoy-Corbières ».)

 
 

Est ce que les nomades s’aident en terre ?
Les prostituées peuvent-elles déménager sans changer de trottoir ?
Quel yogi mange un yaourt dans ta yourte ?
Est-ce que la prochaine question sera la dernière ?
Il n’y aura pas de prochain épisode, vous l’aviez compris ?