– Non, Valentine. Je ne peux pas.

– Écoute, j’ai un symposium et ma mère doit aller chez le physio...

– C’est le coup de feu, ici. Je ne peux pas partir comme ça. Ça ferait mauvais genre.

– Et tu as peur de faire mauvais genre, maintenant ?

Aigre, la voix de ma douce. J’hésite. J’ai deux ou trois cuites à me faire pardonner, des errances tardives alors que Valentine escomptait des heures câlins... Mais pour p’tit-Ju, pardon : rien à redire. Je m’occupais de son moufflet mieux que je ne m’en serais cru capable. Entre les devoirs de math et les petits déjeuners, j’avais mis une croix sur quelques tournois de jass et ravalé de méchantes gueules de bois, bondissant à la première sonnerie du réveil pour lui préparer son chocolat chaud malgré le Sahara sur ma langue et un concert des Pixies dans mon crâne. Je l’avais emmené au cirque Knie et j’envisageais même le cinéma pour la sortie du dernier Disney. C’est dire.

Un soupir d’impatience dans le combiné.

– Allez Joss. Maman a déjà annulé la semaine passée...

Tout court autour de moi. Généralement, à cette heure-ci je peux taper mollement un procès verbal d’audition en m’offrant de longues pauses sur internet. Mais voilà, Xavier Rollin-Lachenal est mort et cette nouvelle n’a pas fini de faire des vagues au boulevard Carl-Vogt. Il faut comprendre : on se paie une moyenne d’un meurtre par mois ou à peine plus, alors quand le mort est renommé et que la mort sent le soufre, chacun se précipite sur l’aubaine. Les limiers de la criminelle, alourdis par le quotidien, balancent soudain entre Mannix et Columbo.

– Il y a eu un assassinat, un gros. Je ne peux pas t’en dire plus mais tu liras ça dans les journaux. Tout le monde est sur la brèche. Je ne peux pas m’absenter... Ni bloquer la ligne plus longtemps.

– Tu ne vas pas me faire croire que tu es indispensable, tout de même. Merde Joss, pas l’excuse du boulot, pas toi...