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Chapitre III Épisode 014 |
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Darbellay a les yeux décollés de la route et le coup de volant un peu fruste à mon goût. J’ai la main accrochée à la poignée, au-dessus de la portière. Ça ne sert rigoureusement à rien, mais dès qu’un Valaisan imbibé tourne la clé de contact, je me crispe. C’est instinctif. Direction la vieille ville, quartier des hommes de loi. Darbellay engage la voiture dans les rues pavées alors que je préférerais aller à pied. Mais les flics ne sont pas des piétons, Darbellay dixit et, Darbellay redixit, c’est bien l’une des rares professions où l’on peut garer sa voiture n’importe où ! – Alors, c’est qui ton gars ? – Pierre Rivaz est le conseiller juridique de Magrot-Tardelli. On voudrait en savoir un peu plus sur cette fusion... Et moi, tu vois, l’économie, l’offre et la demande, c’est pas mon bol de fendant. J’ai beau avoir le crâne assez tout-terrain, j’ai un peu de mal avec les cours de la bourse... – Donc, Tu t’es dit que j’avais assez traîné sur les bancs de l’université pour avoir un peu tâté d’économie. Et tu m’emmènes pour que je parle à ta place... Je dois avoir des relents aigres dans la voix ; Darbellay me regarde, l’air surpris. – Non. Je t’emmène parce que je t’aime bien. Et si tu peux me souffler quelques réponses, ce sera un plus. Pierre Rivaz est un cravatu large d’épaules, cheveux frisés, torse solide. Il pourrait exploser son costume en jouant des biceps. Il se tient droit, bien coiffé, bien fringué, sûr de sa stature. Doucement satisfait. On se dit tout droit que sa femme est charmante, qu’il a trois gosses et qu’il branche le tuyau d’arrosage pour s’amuser en famille le dimanche après-midi. Je choisis le fauteuil un peu à l’écart. Le grand jeu de la finance me met mal à l’aise. Ce doit être l’éducation catho de ma mère, le pain à la sueur de son front et tout le toutim. J’ai du mal à accepter l’idée qu’on puisse jouer avec de l’argent, du mal à me dire que la spéculation peut rapporter plus que le travail. Alors Pierre Rivaz a beau être sympathique, souriant, sain à en crever, et sans doute rigolard à l’apéro et convivial en soirée, je ne lui claquerai jamais la main dans le dos en riant quand il me racontera sa dernière bonne affaire, le dernier profit et le dernier pigeon. Pierre Rivaz sort le whisky des clients. Je jette un œil vers l’étiquette : Tudieu ! le Paradise de Michel Couvreur, 38 ans d’âge ! Je n’ai pas l’estomac en état, mais ce genre d’attention aurait le don de faire fondre mes préjugés les mieux ancrés. Rivaz s’assied, le verre à la main, le regard clair. Il a l’air décidé à jouer franc-jeu, il le dit, le souligne, nous demande de ne pas faire de manières. Darbellay se redresse un peu. Il se sent mieux dans ses bottes quand il peut éviter les airs compassés et les questions trop polies. – Rollin-Lachenal ce n’était pas n’importe qui ; un nom qui compte à Genève. – Un nom qui a compté, effectivement... – Ce meurtre, comment l’interprétez-vous ?... – Mon boulot, c’est d’interpréter les chiffres, pas les pulsions meurtrières. Et au niveau des chiffres, je dirais que Rollin-Lachenal était une ambulance, presque un corbillard. Et comme on ne tire pas sur les ambulances, j’avoue qu’à votre place j’oublierais la piste boursière et je me demanderais s’il n’existe pas de raisons plus, comment dire, intimes, de tuer Rollin-Lachenal. – Vous m’étonnez, Monsieur Rivaz... La situation de la banque Rollin-Lachenal était plutôt florissante... – Vous vous êtes laissés prendre à la ridicule cérémonie d’avant-hier ? Je pensais que vos services faisaient preuve d’un peu plus de sagacité... Vous savez, l’empire romain organisait ses fêtes les plus fastueuses à la veille de sa chute, et je ne vous parle pas de la cour de Nicolas II... – Oui, évitons de parler de Nicolas II, si vous le voulez bien... |
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