Chapitre VII

Épisode 032

Quand le corps de ma belle me danse derrière les yeux, j’ai encore moins envie de me rendre au boulot qu’un autre jour. Je claque le réveil avec emphase et j’essaie de recoudre le fil de mes rêveries, doucement, patiemment. Pas question de me lever à l’heure.

Valentine est plus consciencieuse que moi. C’est irréversible, presque génétique. Pendant ses études, elle ne gâtait jamais les cours malgré des résultats à filer un torticolis aux médiocres dans mon genre qui n’avaient pas tant de scrupules. L’idée de se faire porter malade pour paresser un peu dans mes bras lui aurait donné mauvaise conscience pour deux semaines au moins. Je m’étais fait à sa fiabilité comme elle se faisait plus ou moins à ma paresse et à mes errances.

Valentine et P’tit-Ju prennent leur petit déjeuner. Je les entends babiller de mon lit. J’adore laisser couler la voix de ceux que j’aime dans un demi-sommeil, surtout lorsqu’ils ne disent rien d’important, lorsqu’ils se chamaillent dans l’odeur du café avec de la confiture autour des lèvres. Je me dis parfois que j’aimerais mourir ainsi, m’enfoncer dans le sommeil avec la voix des miens comme musique de fond.

Ils partent. J’entends un dernier babillage, P’tit-Ju qui retourne en courant dans sa chambre parce qu’il a oublié un truc. Il ne se passe pas un matin sans qu’il oublie un truc. Valentine râle en regardant sa montre. Je peux la voir en fermant les yeux. Ses colères du matin me font rire, surtout calé sur l’oreiller. Le bruit de la clé. La voix de P’tit-Ju sur le palier. Direction l’école et direction la gare pour Valentine.

Le silence est moins propice à ma somnolence, il faut croire. Je me suis retourné deux ou trois fois encore, pour user le plaisir jusqu’au bout, avant de trouver la force de me lever. Une douche, un café avalé en une gorgée et je pars, à pieds, bien calfeutré dans ma veste. Pas envie de me presser. Je marche à petits pas, le cœur à ma nuit, les cheveux mal coiffés, en savourant chaque minute de mon retard.

Le corps de Tardelli n’est pas encore revenu me hanter. Ce n’est que boulevard Carl-Vogt que s’imposent les détails de la veille. Je passe la porte avec un début de nausée.

Regards venimeux des chefs. Je m’en fous. Un détour par la machine à café et je me plante enfin devant mon ordinateur. J’allume, insensible à l’effervescence du couloir en me demandant si Tarantini poursuit son bras de fer avec Magrot et Rivaz. Ça ne m’intéresse plus, plus vraiment ; je voudrais juste savoir comment Hortense Courtois a pris la sale nouvelle.

Darbellay débarque cinq minutes plus tard, avec les cheveux en pétard et l’haleine parfumée au fendant. Il n’a pas l’air d’avoir beaucoup dormi, le bougre !

– Ils ont avoué ?

Le regard qui me transperce n’a rien d’aimable.

– On s’est planté, bordel, on s’est planté sur toute la ligne !