Chapitre VII

Épisode 034

Tarantini nous rejoint devant la machine à café. Il traîne un tout, tout, petit moral. Il n’est même pas en état de me mépriser.

– J’ai dû m’excuser plus bas que terre, et je suis convoqué dans le bureau du Paon...

– Tu n’y es pour rien, dit Darbellay.

– Scvepic, je ne l’ai pas inventé. Le voyage à Berlin, je ne l’ai pas inventé non plus !

– Berlin, ce n’est pas solide. Il faut nous rendre à l’évidence. Rivaz et Magrot n’étaient pas menacé par Rollin-Lachenal. Ils n’avaient aucune raison non plus de se débarrasser de Tardelli.

– Ça, nous n’en savons rien.

– Tu ne veux pas lâcher le morceau, hein ?

Tarantini écrase le gobelet plastique dans sa main, il le jette un peu rageusement, manque la poubelle, étouffe un juron.

– On part de l’idée que le cadavre important, c’est Rollin-Lachenal et peut-être qu’on raisonne à l’envers. Au fond, Rollin-Lachenal ne vaut plus rien, c’est une coquille vide à quoi bon prendre la peine de s’en débarrasser. Alors que Tardelli... Tout le développement de l’entreprise est basé sur son petit cerveau.

– Et qu’est-ce que tu en déduis comme mobile ?

– Prendre trop de place, trop d’importance, c’est dangereux. Il avait l’air de vouloir sérieusement se vendre à la concurrence, Tardelli !

– Ce n’est tout de même pas Magrot et Rivaz qui ont décidé d’organiser une soirée au Noga-Hilton...

– Peut-être est-ce la soirée qui a servi de déclencheur. Qu’en penses-tu ?

– J’en pense que tu vis mal le fait d’avoir été tancé par Rivaz, que tu ne supportes pas d’avoir tort et que tu t’accroches à tes conclusions en dépit du bon sens. Et je crois surtout qu’il faut qu’on axe notre travail sur les proches de Rollin-Lachenal, sa famille et ses collègues. Il y a des millions en jeu dans cette affaire.

– Des millions virtuels, des millions qui ne seront plus qu’un souvenir dès demain.

Je tique.

– Pourquoi demain ?

Si Tarantini retrouve ses airs méprisants dès que je l’interromps, il faut croire que sa blessure d’orgueil n’est pas si grave que cela.

– Les déclarations de Rollin-Lachenal étaient falsifiées. Le Conseil d’État enverra un communiqué de presse pour faire cesser la spéculation. Le soufflé se dégonflera aussitôt.

– Pas pour tout le monde, dit Darbellay. Si la soirée était prévue pour faire monter les actions, soit sûr que les responsables sauront vendre les leurs à temps. C’est à dire aujourd’hui. Et ceux-là, je te jure que je ne les lâcherai pas.

Je me racle la gorge.

– Qui aurait pu mettre en place une pareille combine sans l’accord de Rollin-Lachenal ? Cette soirée, c’est lui qui l’a voulue. Il a détaillé publiquement des chiffres qui étaient sans rapport avec la réalité. En agissant ainsi, il perdait toute crédibilité. Ce n’est pas banal quand même !

– Il y a deux solutions, dit Darbellay ; soit Rollin-Lachenal ne tenait plus les ficelles de ses propres affaires et s’est fait proprement manipuler par ses conseillers, soit il était impliqué dans toute l’affaire, parce qu’il savait que sa banque était perdue et qu’il voulait quitter la scène avec un joli pactole. Et alors, ça voudrait dire qu’il s’est fait abattre par ses complices !