Chapitre VII

Épisode 036

Hortense Courtois m’ouvre avec un petit sourire. Elle ne se traîne pas en pyjama avec un mouchoir roulé en boule et gorgé de larmes dans la main, non, l’appartement est bien aéré, les rideaux du salon flottent, frais dans les courants d’air. Hortense Courtois porte des habits bariolés, de couleurs vives, elle a les gestes énergiques, un ton presque enjoué.

– Vous désirez boire quelque chose ; un thé froid, une bière ?

Je dis banco pour le thé froid. Je l’observe un peu mieux quand elle revient s’asseoir face à moi. Il y a quand même des cernes qui disent qu’elle n’a pas trop dormi. Des soupirs, quelquefois, viendront ponctuer ses phrases. Hortense Courtois ne va pas bien mais elle a décidé que cela se verrait le moins possible.

Je sors un calepin de ma poche ; je le compulse un peu gêné. J’ai bien noté quelques idées, dans le bus, durant le trajet, mais me voilà la gorge sèche, infoutu de poser la moindre question. Cela ne semble pas troubler Hortense. Il faut croire qu’elle a besoin de parler. Ses mots viennent tout seuls. Je me contente de les récolter en souriant de temps à autre.

– C’est difficile, vous savez. Marco n’était pas homme à faire des projets d’avenir. Nous vivions au jour le jour. Je m’en plaignais d’ailleurs. Je lui disais que ce n’était pas normal pour un couple de ne pas s’imaginer plus tard, ne serait-ce que quelques mois plus tard... Et aujourd’hui, je me rends compte que j’ai échafaudé beaucoup plus de projets que je ne croyais. J’ai l’impression que mes jours sont bouchés, juste devant moi, que ma vie est coupée nette. En même temps, je suis consciente que je vais survivre, que je vais oublier. Et je me dis que le plus tôt sera le mieux, qu’il ne faut pas que je reste avec cette impression de vide.

– Vous n’avez pas envie de comprendre ce qui s’est passé ?

– À quoi bon ? J’y ai réfléchi bien sûr, je vais vous aider si je le peux, mais, au fond, qu’est-ce que ça changera ?

– Si vous y avez réfléchi, vous devez bien avoir une impression, une intuition ?

– Je crois que Marco est mort d’avoir fait une mauvaise blague. C’est idiot... Mais il a vécu ses derniers jours comme un enfant farceur. Il adorait jouer des mauvais tours, vous savez...

– Je ne vous suis pas tout à fait...

– Rollin-Lachenal n’aurait pas pu manipuler Marco. S’il s’est laissé embobiner, c’est qu’il était consentant. Je crois qu’il voulait se montrer auprès d’un gros banquier pour énerver Magrot, lui dire qu’il était libre de son avenir... Mais il n’aurait rien signé. C’était juste un jeu...

Le visage d’Hortense se contracte. Elle se lève, fait quelques pas, le temps que l’émotion se dissipe un peu.

– Il buvait beaucoup ?

– Pourquoi ?

– Vous m’aviez parlé de boisson quand vous êtes venue au Boulevard Carl-Vogt. Et, ma collègue de l’identité judiciaire m’a signalé avoir retrouvé passablement d’alcool dans son estomac.

– Il travaillait beaucoup ; sans une goutte d’alcool. Il se permettait de boire quand il s’octroyait quelques jours de pause. Et là, on peut dire qu’il buvait beaucoup, exagérément même. Marco n’était pas du genre modéré, vous savez.

– Avez-vous des traces de ces contacts avec Magrot, avec Rollin-Lachenal ?

– Il ne gardait presque rien, détruisait ces mails au jour le jour. J’ai réuni tout ce que j’ai pu trouver dans cette fourre.

Elle me la tend...

– J’ai juste ôté les messages privés, ceux qui m’étaient adressés. Faites bon usage du reste !

Elle me sourit. Je l’aime bien, Hortense ; j’ai un brin mal au cœur pour elle.