Chapitre VIII

Épisode 037

Au moment de quitter Hortense Courtois, je n’ai trouvé que des mots imbéciles, des mots de condoléances bateau qui auraient pu être ceux d’un flic. Je ne crois pas qu’elle m’en ait tenu rigueur, mais lorsqu’elle a refermé sa porte, je me suis senti vaguement con et impuissant.

Il me restait une demi-heure pour gagner les Brasseurs et parler un peu avec ce Vincent Perrito. Nettement trop pour venir du Seujet. Alors je déambule le long des rues, et comme à chaque fois je m’oublie un peu et je me fais prendre par l’heure. J’arrive aux Brasseurs un peu à la bourre et au pas de charge.

Malgré l’affluence, je repère vite fait l’aspirant journaliste : un frisé rouquin tout anxieux qui m’attend en se frottant les paumes sur les cuisses. Il a plus de mal à m’imaginer dans la peau du mec chargé de l’interroger. Il pense sûrement que je m’apprête à lui tauper une clope.

– Jocelyn Perret, police genevoise, enchanté.

Le petit journaleux ravale ses préjugés aussi vite que Rollin-Lachenal avait renié son extrait de naissance.

– Moi de même, Monsieur Perret, moi de même.

Je m’assieds. Je commande un café. La bière ça ne fait pas flic en service. Pourtant, j’ai bien envie de prendre mes aises sur la banquette et de m’humecter tranquillement le gosier plutôt que de jouer à la poêle et la crêpe avec ce gars qui, de prime abord, me paraît plutôt sympathique.

– Je ne pensais pas que ça poserait problème...

– Savez-vous seulement ce qui pose problème, Monsieur Perrito ?

J’ai des sous-entendus plein la voix. Pour un peu, je me ferais peur.

– Eh bien, un de vos confrères m’a appris que mes informations sur Rollin-Lachenal étaient quelque peu, comment dire, erronées...

– Effectivement, erronées. Et si ces informations erronées avaient paru en entrefilet plutôt qu’en pleine page de la rubrique économique, soulignées par vos explications expertes, les effets auraient été moins impressionnants.

– Comment ça « impressionnants » ?

– Vous êtes employé par la rubrique économique, Monsieur Perrito. J’ai parcouru votre curriculum vitae. Vous avez fait deux ans d’HES, pas assez pour la licence j’en conviens, mais, malgré l’indigence de nos études universitaires, suffisamment pour comprendre le fonctionnement de la bourse...

– Oui, je crois du moins.

– Or, vous écrivez en pleine page qu’ « une entreprise qu’on croyait moribonde affiche en fait une santé resplendissante », je vous cite, que « les concurrents sont dépités, pris à froid, parce qu’ils ne croyaient pas à un pareil reflux de la bonne fortune », je vous cite toujours, et que « le crime si odieux soit-il n’empêchera sans doute pas la banque Rollin-Lachenal de goûter au fruit d’une fusion prévue de longue date »... C’est gonflé comme affirmation. Pour un connaisseur du sujet, vous ne vous embarrassez pas de beaucoup de précautions. Savez-vous à combien se chiffre l’augmentation du capital actions depuis votre prouesse ?...

– Ben, j’avoue que...

– Douze millions. En quelques jours, la banque Rollin-Lachenal s’est enrichie de douze millions. Il ne s’agit bien entendu que d’une bulle d’enthousiasme qui éclatera... Enfin... – je bafouille un peu, j’ai failli dire « demain » et offrir à cet apprenti sorcier un nouveau scoop inespéré – qui ne tardera pas à éclater, qui n’amortira pas la chute quand la réalité éclatera au grand jour.

– Vous exagérez mon influence, enfin, comment dire, je ne suis pas seul responsable. La bourse répond à des mouvements un peu plus complexes que cela, Monsieur Perret.