Chapitre VIII

Épisode 038

Il veut se défendre, le petit salaud, casser ma belle logique. Je ne tartine pas souvent de grandes certitudes, alors quand je tartine, j’aime bien qu’on me laisse tartiner en paix...

– Votre influence réelle sur les chiffres, Perrito, je m’en fiche. Ce qui me pose problème, c’est la faute morale et professionnelle que vous avez commise en vous engageant personnellement pour une thèse qui s’est révélée fausse.

– Je suis en stage, Monsieur Perret. Si je veux qu’on me garde, il me faut marquer mon territoire, montrer que je peux faire de l’analyse, du travail de fond... À mon niveau un scoop ne se refuse pas et même si j’ai fait preuve de légèreté, je...

– Comment ça ? Un scoop ne se refuse pas ?

– Oui... Je ne pouvais pas renoncer à publier des informations exclusives.

– Exclusives ?

– Le chef du département financier des établissements Rollin-Lachenal – comment s’appelle-t-il déjà ? – Armand, Monsieur Bernard Armand, m’a contacté une semaine avant la soirée. D’ordinaire, quand un interlocuteur important appelle, j’ai la consigne de transmettre le message à Solen Gauthier...

– La responsable de la rubrique économique ?

– Oui.

– Et pour une affaire aussi importante, vous ne l’avez pas fait ?

– Solen animait deux débats à l’université et elle avait pris sa journée de congé pour se préparer... J’ai dit à ce Monsieur Armand de rappeler le lendemain, mais il a répondu qu’il voulait à tout prix transmettre l’information le soir même et que ça ne lui posait pas de problème de parler avec moi plutôt qu’avec Solen...

– Qu’en a pensé Solen Gauthier ?

– Elle n’a pas été très contente, mais elle sait que je ne pouvais pas renoncer à une pareille opportunité. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut se mettre en avant. Ce qui m’inquiète c’est sa réaction quand elle saura que mes articles de ces derniers jours sont bons à jeter au feu.

– Et la rencontre était vraiment urgente ?

– Pardon ?

– Ce que vous a annoncé Bernard Armand, ne pouvait-il le faire que le soir même ?

Troublé, le pauvre Perrito. Il part à la pêche aux arguments, revient bredouille...

– Ma foi, non... Il s’agissait d’un épais dossier qu’il m’a abondamment commenté... Il voulait que j’aie suffisamment de temps pour écrire mon article et pour qu’il annonce la couleur de la soirée.

– C’est donc l’article que vous avez intitulé...

La bonne fortune de la banque Rollin-Lachenal. J’y annonçais que la situation financière n’était pas du tout celle que décrivaient les autres médias... Je me suis fait avoir.

– J’en ai bien peur, oui.

Et pour ce que je sais de la réputation d’intransigeance et de probité de Solen Gauthier, j’ai comme l’impression que le stage et la carrière journalistique de Perrito sont mal engagés. Je lui demande s’il peut me fournir le dossier d’Armand. En bon petit soldat repenti, il m’offre toute la documentation dont il s’est servi pour pondre ces articles. Et me voilà dans la rue avec un classeur fédéral foutrement indigeste sous le bras. Bah ! Ça fera de la lecture pour Chappuis.