Chapitre IX

Épisode 046

– Tu crois que je ne te vois pas venir, affreux corrupteur !

– Le risotto du café des Banques ?

Elle rit.

– Tu sais parler aux femmes, toi.

Je passe par le bancomat par précaution et je fais bien. Pernilla vide un coca en trois gorgées en grignotant quelques chips au passage et en louchant déjà sur le chariot des desserts. L’addition promet d’être aussi copieuse que le risotto aux bolets qui fume dans sa meule de parmesan.

– Alors accouche. Je te préviens, je ne cause plus boulot pendant le repas.

– C’est au sujet de l’heure de la mort. La fourchette est assez large.

– Je ne peux pas préciser plus.

– Tu as une impression, tout de même ?

– Explique-moi d’abord ce qui te dérange.

– J’ai l’impression, d’après le taux d’alcool que tu as relevé dans son sang, que Tardelli était beaucoup plus imbibé quand il a été tué que lorsqu’il a quitté la soirée. Et je me dis qu’il a sûrement traîné quelque part, dans un bistrot.

– Personne ne l’a vu quitter la soirée, Joss. C’est de la pure spéculation. Il a très bien pu s’écrouler dans un coin avec une bouteille d’alcool fort, se réveiller à demi-comateux et partir.

– Oui. Mais s’il a continué à boire ailleurs. Il était sans doute accompagné. Par son assassin.

– Et l’assassin se serait absenté cinq minutes pour tuer Rollin-Lachenal avant de finir son verre ? C’est un peu léger, Joss. À moins que tu n’imagines deux assassins distincts, deux tueurs engagés pour deux boulots différents...

Elle se fiche de moi, doucement, avec un sourire trop gentil pour être vraiment narquois, mais elle a l’impression que je m’engage dans des théories en cul de sac.

– Quand même... Si Tardelli avait quitté la soirée ivre mort, quelqu’un nous l’aurait dit...

Pernilla me laisse ruminer quelques instants, puis elle se fait sérieuse.

– Je pense que tu as raison sur un point, Joss. Il s’est sans doute écoulé plusieurs heures entre la mort de Rollin-Lachenal et celle de Tardelli. Je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouvait et de ce qu’il a pu faire pendant ce temps-là. Mais il a dû boire quelques verres pour parfaire son état.

Je veux dire quelque chose, elle m’en empêche.

– Ne me demande surtout pas si j’en suis sûre. Je me base sur une impression qui m’est venue lorsque j’ai relevé les empreintes sur les interrupteurs.

– Explique.

– Il y avait deux lampes dans la pièce. Une au-dessus de la commode dans le coin de la pièce et une autre, une lampe d’appoint, sur la table basse.

J’acquiesce d’un air entendu, mais j’ai beau me torturer la mémoire, mes souvenirs me ramènent uniquement à la grimace mortuaire de Tardelli.

– Quand nous sommes arrivés la lampe de la table basse était allumée. J’ai retrouvé plusieurs empreintes confuses sur l’interrupteur, dont celles de Tardelli. Or, l’autre lampe était éteinte, et là, l’interrupteur était soigneusement nettoyé. On peut donc penser que l’assassin a effacé les traces de son passage. Et que c’est lui, en partant, qui a éteint la lumière. Tu es d’accord jusque là ?

Je dis oui sans trop voir où elle veut en venir. On nous sert l’entrée, mais Pernilla ne semble pas voir son assiette.

– L’assassin n’avait pas touché l’autre interrupteur. Il n’était donc pas obligé de l’essuyer. Mais, il est préférable d’éteindre toutes les lumières avant de partir, pour ne pas attirer l’attention. Imagine la scène : Il avait son chiffon à la main. Ça ne lui coûtait rien. Je me suis demandé pourquoi il ne l’avait pas fait. Et je pense que c’est parce qu’il n’a pas vu la lumière... Quand nous sommes entrés, je ne l’ai pas remarquée tout de suite moi non plus. La clarté du jour noyait tout.

– Alors tu pense...

– Oui, je pense que le jour était levé quand Tardelli a été tué. Mais, ce n’est qu’une hypothèse. Tu peux en trouver des concurrentes, de plus judicieuses peut-être. J’ajoute que je ne crois pas du tout à l’histoire des deux assassins. Mais tu ne perdrais pas forcément ton temps si tu faisais le tour des bistrots avec une photo de Tardelli.

– On peut essayer...

– Prends-en aussi une de Scvepic, on ne sait jamais.

Et Pernilla attaque son repas d’une bonne fourchette.