Chapitre IX

Épisode 047

Si j’escomptais somnoler devant mon écran, histoire de digérer en paix, je me fourre le doigt dans l’œil. La suractivité gueularde de Tarantini me contraint à me rendre avec les autres à la salle de réunion. Le bellâtre est fier de lui et il n’a jamais eu la satisfaction modeste. Il a réuni large. Même le Paon, notre manitou mal aimé, a repoussé quelques rendez-vous pour assister à la grande scène. Tarantini salive avant même de parler et je rêve qu’il me pousse une tarte à la crème à lui balancer ou que son pantalon décide de se tailler, enfin un truc drôle qui m’épargnerait la suite.

– J’ai eu des contacts au plus haut niveau avec la police allemande et, sans me vanter, je crois que j’ai bien manœuvré...

Je me paie une petite apnée jusqu’à la fin du préambule et j’ouvre l’œil et les écoutilles lorsque le nom de Scvepic revient sur la table.

– J’ai pu obtenir des renseignements plus précis sur Scvepic. Il a quitté récemment l’armée slovène et travaille tout à fait légalement comme formateur dans le nord de l’Allemagne. Des tireurs d’élite de toute l’Europe suivent son enseignement. En gros, il est intouchable. Mais les autorités allemandes savent parfaitement qu’il poursuit des activités illicites, et que certains de ses élèves œuvrent de l’autre côté de la barrière.

– Et ils ne font rien ?

– Les agissements litigieux qui lui sont attribués se situent hors des frontières de l’Union européenne. Alors, ils préfèrent fermer les yeux. J’ajoute que Scvepic a été officiellement blanchi pour une cargaison de vieilles affaires et ce n’est pas le type qui a l’habitude de laisser des preuves derrière lui. Officiellement, c’est un citoyen des plus respectables. Mais je leur ai fait une proposition qu’ils lui ont transmise et qu’il a acceptée.

– À savoir ?

Le Paon semble aussi déconcerté que moi.

– Scvepic nous secondera sur les aspects techniques de cette affaire en qualité de consultant.

Tarantini savoure sa phrase quelques secondes durant, puis il reprend, la voix ferme.

– Il faut reconnaître qu’il y a un ou deux bémols. Tout d’abord, Scvepic ne répondra qu’aux questions qu’il estimera pertinentes... Ensuite, il ne s’exprimera que par e-mail et décidera librement du terme de nos entretiens... Et puis, il y a le problème de ses tarifs...

– Parce que nous allons le payer ?!

Je ne joue pas souvent les vierges indignées, mais là, l’exclamation m’est venue toute seule. Enfin quoi, merde, on est chez les flics oui ou non ? Je sais que le système des indulgences n’est pas une nouveauté, mais, graisser la patte d’un tueur et lui parler avec déférence pour qu’il daigne nous éclairer sur les aspects techniques de son choix, j’avoue que ça me dépasse un petit peu ; il faut croire qu’il me reste toujours l’envie de différencier les gentils des méchants, une résistance presque instinctive à ce grand mélange cynique qui nous voit tous louvoyer dans le même baquet d’eau souillée. Tarantini ne perd pas cette belle occasion de me river le caquet.

– Scvepic, nous ne l’aurons pas. Le commanditaire nous pouvons l’avoir. Alors, mettons toutes les chances de notre côté. Il faut être lucide, Jocelyn, quand on veut devenir flic.

Le Paon sourit, opine, ronronne, et dit à son merveilleux collaborateur brillantiné de passer dans son bureau pour définir un budget « consulting ». J’en frémis. Tarantini se racle la gorge.

– J’oubliais. Scvepic ne parle ni français ni anglais, il souhaite que nous communiquions en allemand, et moi... j’avoue que...

– Compris, Tarantini. Vous voyez quelqu’un qui peut s’en charger ?

– Je pense que c’est dans les cordes de Jocelyn.
Nouveau sourire du Paon qui se tourne vers moi. Horreur, il va finir par se souvenir que j’existe, cet affreux-là !

– C’est une bonne occasion de vous mettre en valeur, Perret !

Ils sortent tous de la salle, alors que je reste là, un peu mou de la cervelle. Si j’ai bien tout compris, je vais devoir écrire un mail à un tueur, moi.