Chapitre IX

Épisode 049

Trois messages sur mon portable m’invitent avec insistance et moult points d’exclamation. La perspective d’une bière et de quelques parties de cartes m’incitent à me rendre sans trop attendre au Nyamuk. Je me retrouve donc rue des Bains à l’heure de l’apéro. Griotte et Pelletier discutent à l’intérieur alors que Diego avale son deuxième kebab à grandes bouchées sur le trottoir. Certains restaurateurs n’aimaient guère le voir, la barbe de trois jours tachée de sauce piquante, mâchant encore et les mains grasses à l’heure de pénétrer dans leur digne établissement. L’un d’entre eux le lui avait vertement signifié. Depuis, Diego avale avant d’entrer.

– T’aurais pu commander quelque chose à l’intérieur.

– Fait du sport... Pouvais pas attendre... Avais trop la dalle...

Diego écume les fitness en semaine, histoire de se tailler la silhouette de séducteur ibère derrière laquelle il court depuis ses dix-huit ans. Mais de tout temps, le sport lui a ouvert trop grand l’appétit, et ses litres de sueur sont vite remplacés par l’afflux de nourriture consistante et de boissons alcoolisées. Ce qui n’empêche d’ailleurs nullement Diego d’être notre roi de la nuit quand il se déhanche avec, au fond des yeux, un zeste de nostalgie, un doux mélange de bonté, d’ironie légère et de drague désabusée. Irrésistible, le gars. Ou du moins, fichtrement moins résistible que nous autres quand nous fréquentions encore les boîtes.

Nous nous sommes retrouvés tous les quatre, bien installés. J’avais offert la première tournée, assez satisfait de rencontrer toute la fine équipe de manière aussi imprévue; imprévu qui, il est vrai, se reproduisait en moyenne une fois par semaine, avec quelques remplaçants de luxe quand un membre de base faisait faux bond, pour des raisons familiales, professionnelles ou plus si mésentente.

Enfin bref, j’étais bien content, appuyé contre le dossier de ma chaise, une ration raisonnable de bière à portée de la main, et un jeu plus que plaisant depuis le début de la partie. Même Diego, qui n’est pas le partenaire rêvé de quiconque veut gagner, commettait moins de bourdes qu’à l’ordinaire. J’en oubliais presque mon tueur slovène et ma grammaire allemande.

– Va nous reprendre des bières, Joss, me dit Pelletier de retour d’urinoir.

– Il me semble que ce serait plutôt ton tour.

– J’ajoute « s’il te plaît ». Va nous chercher des bières, Joss.

– Va te faire foutre !

– Je te le demande en toute amitié : Joss, j’aimerais vraiment que ce soit toi qui aille chercher les bières. Voudrais-tu me faire plaisir ?

À quoi il joue cette andouille ?

– Vous voulez me faire une surprise dès que j’aurais le dos tourné ? Vous savez bien que je déteste ça.

Griotte entre dans la danse :

– Mais enfin, Joss, c’est ridicule. Je paie la tournée si tu veux – elle me tend un billet que j’ignore avec superbe. Ce que Claude te demandait simplement, c’est de te lever, d’aller jusqu’au bar et de revenir avec quatre bières. Je ne comprends pas pourquoi tu en fais toute une histoire.

– Parce que ce n’est pas mon tour...

Voilà que j’ai l’air d’un gamin capricieux qui fait la moue sans raison !

– Et si je te disais que c’est le mien et que toi, galant homme, tu pourrais faire le trajet à ma place ?

– Vous allez tous vous liguer ou quoi ?

Apparemment oui, puisque Diego y met du sien.

– Écoute, Joss, on va pas mettre une punaise sur ta chaise quand t’auras le cul levé. T’as peur de quoi ? C’est terrible de manquer de confiance en ses amis à ce point-là.
Il me vexerait, ce con.