Chapitre XI

Épisode 061

Je traverse la plaine de Plainpalais, un peu vexé quand même. L’air froid me fait du bien ; je marche d’un pas rapide en rédigeant mentalement le mail que j’enverrai à Scvepic. Forcément, l’idée de passer par la Rue de l’école de Médecine n’est pas propice à la méditation. Personne ne me hèle quand je longe l’Établi, mais à la Ferblanterie, de l’autre côté de la route, ce cher vieux Pelletier s’offre un apéro en tête à tête avec lui-même. Comme il regarde la route, il me voit et comme il me voit il ne tarde pas à me happer.

Me voici donc en plein horaire de boulot, loin de mon ordinateur à vider une cannette d’un fort beau gabarit. On parle un peu, sans rien dire, juste pour le plaisir de boire alcoolisé et de rire gras. Le match de foot de la semaine suivante, des trucs qui se passent et ne se passent pas, des copains qui déconnent sévère. On distille des nouvelles en piochant dans les olives et les caouettes. Je suis à deux doigts de la somnolence quand Pelletier me tape sur l’épaule.

– Tu sais quoi ? J’en ai appris une belle.

Je ne sais pas à quoi m’attendre, mais comme Pelletier est rarement décevant quand il annonce la couleur avant le contenu, je fais signe au serveur de nous apporter une nouvelle tournée. Plus je bois, moins j’ai envie de retourner au boulot et que je trouve cette dynamique particulièrement plaisante. Pelletier poursuit sur un domaine où je ne l’attendais pas.

 L’appartement rue du Fossé-Vert... Là où Tardelli a été retrouvé...

– Ouais...

– La régie compte le relouer... À un prix modique.

– C’est un taudis, ce truc...

– Tu m’as dit... Mais bon, j’ai pensé à mon cousin, tu sais, celui qu’on loge au grenier... Ça lui ferait un petit chez lui ; et nous, on retrouverait la paix.

– Je croyais c’était un brave petit gars discret.

– C’était avant qu’il rencontre sa copine. À son âge, on baise vite, mais on baise souvent... À intervalle régulier... Toute la nuit... Enfin, c’est pas tellement le bruit, on s’y fait, mais c’est qu’on se dit que c’est des frénésies qu’on vivra plus... Et moi du coup, je me lève le matin et je me sens vieux et raplapla et... Mais bon là n’est pas le sujet. Je téléphone à la régie histoire de me renseigner et là, je ne sais pas pourquoi, je demande qui est le propriétaire de l’immeuble...

– Qui ?

– Les établissements bancaires Rollin-Lachenal, tu trouves pas ça drôle ?