Je quitte ma place en bredouillant que je m’éclipse direction waters. Je n’ai pas le temps de faire trois pas que la porte s’ouvre et que l’index vengeur de sa majesté valaisanne toute puissante me cloue sur place.

– Toi, tu ne bouges pas !

Taureau furax a les semelles qui font des étincelles sur le plancher et les naseaux qui fument une colère rehaussée d’une goutte de vin blanc.

– Joss, tu m’expliques tout de suite ton petit jeu à la con de tout à l’heure !

– Je crois que je commence à cerner Rollin-Lachenal et...

– Tu crois que quoi ? Non, mon petit vieux, tu ne crois rien du tout, tu fais ce qu’on te dit de faire et tu fermes ta gueule quand je mène mon interrogatoire. C’est vu ? Oh et pis tape-moi ça !

Et il me balance son compte-rendu, comme ça, sur le bureau. Je me lève et je balance d’une voix un peu tremblotante.

– Tu sais pourquoi Rollin-Lachenal a voulu organiser les moindres détails de la soirée ? Parce qu’il savait que le tueur allait venir. Tu sais pourquoi il avait bu un verre de plus que d’ordinaire ? Parce qu’il savait qu’on allait lui tirer dessus. Tu sais pourquoi il avait l’air étonné quand on lui a tiré dessus ? Parce qu’il s’attendait à ce qu’on le blesse, mais pas à mourir, là, comme un con. Tu sais pourquoi Scvepic nous donne des renseignements ? Parce que son commanditaire a changé ses consignes au dernier moment.

– C’est quoi, ce délire ?

– Scvepic le dit assez clairement. Tuer Rollin-Lachenal à cette distance, n’importe quel branque pouvait le faire. À quoi bon s’adresser à lui qui ne devait pas être le moins cher du marché ? Parce qu’il était capable de blesser un type a trente mètres sans atteindre ses fonctions vitales. Rollin-Lachenal était un sacré tordu. Il savait qu’il avait perdu la partie, que les réalités du marché lui imposaient de céder sa banque. Mais il était capable de compliquer la situation jusqu’au délire. Il savait qu’une forte hausse de ses actions lui permettrait de gagner du temps, de rembourser quelques dettes, d’attirer quelques investisseurs et, qui sait, de retarder la chute... Seulement, un tel effet d’annonce aurait forcément provoqué les questions des spécialistes. On ne pouvait qu’être sceptique... La bourse n’était pas assez crédule pour se monter la tête. Mais blessé, attaqué par un concurrent jaloux, alimentant les rumeurs de son lit d’hôpital, Rollin-Lachenal pouvait faire croire à sa fable pour en récolter les fruits. D’ailleurs, il semble que certains ne s’en soient pas privés.

– Mais pourquoi avoir changé les consignes de Scvepic ?

– La question n’est pas « pourquoi » mais « qui ». Qui a transformé cette mascarade en meurtre ?