Chapitre XII

Épisode 067

Je grimace un peu en m’enfilant le tord-boyaux et je demande.

– T’as trouvé quelque chose ?

– On peut pas dire que j’aie perdu ma journée ! Quand je me suis barré tout à l’heure, parce que cette foutue perquisition ne donnait rien, j’avais besoin de me calmer les nerfs. Alors, à tout hasard, je suis allé secouer Pablo, tu te rappelles de cette petite frappe de concierge ?

– Ouaip !

– Je me le gardais en réserve, celui-là, parce que je ne savais pas trop quelles questions lui poser, mais je me doutais qu’il n’avait pas tout craché. Ces espèces de lavasses des bas quartiers, c’est comme les bouteilles de bière, il en reste toujours un peu au fond. Je l’ai trouvé qui paumait le pognon qu’il n’avait pas en enchaînant les parties de poker avec d’autres minables de son espèce, au café du Léman. Je l’ai sorti par la peau du cou et je l’ai fait descendre dans les chiottes publiques de la place de la Navigation. Plus fier du tout, le Pablo ! Et rien qu’en regardant sa gueule, je devinais que je tapais juste. Ce type doit passer sa vie à essayer de vider les poches des voisins, c’est la manie de la combine. Il y a une roublardise innée en lui, il tend l’oreille par instinct, avant même de savoir si ça peut servir. Je lui ai dit qu’il avait les yeux rouges et qu’il risquait un début de conjonctivite à force de regarder par les trous de serrure. Il a osé me répéter qu’il ne connaissait pas son locataire fantôme. Le bougre d’insolent ! Je lui ai collé une et je lui ai fait miroiter un petit florilège des amusements imaginables dans des toilettes désertes. Il a verdi, il a décidé d’être gentil et il m’a avoué qu’il n’y avait pas un, mais deux occupants dans l’appartement.

– Scvepic et un complice ?

– Un type d’une cinquantaine d’années qui pourrait correspondre au portrait robot de Scvepic et un plus jeune. C’est le jeune qui était là en permanence. Le pseudo-Scvepic, Pablo ne l’a vu qu’une ou deux fois. Il a hésité à prendre des photos, histoire d’avoir quelque chose à vendre, mais il n’a pas eu le cran. L’instinct, toujours. Il a compris que c’était un truc trop gros pour lui. Bon, cette histoire du deuxième tueur me donnait déjà des perspectives nouvelles, mais j’avais toujours les nerfs en boule. Tu m’connais, Joss, j’suis pas du genre facile à calmer. Et le Pablo, là, devant les urinoirs, il sentait bien que j’avais envie de lui en mettre une ou deux pour le plaisir. J’l’aurais pas fait. Le cartilage dans la gueule, c’est pas dans les procédures ISO. Et j’vais pas sacrifier mon treizième mois en m’abîmant les phalanges sur un aussi vilain portrait. Mais heureusement, les indics et les petits délinquants sont pas encore au courant de nos procédures d’interpellation, des gouzi gouzi et des révérences qu’on est censés leur faire pour rester dans les règles. Tant qu’ils auront un peu la trouille, on arrivera à en tirer quelque chose. Et voilà que le Pablo me parle d’un de ces potes de bistrot, un de ceux qui jouait au poker avec lui. Le gars aurait vu Tardelli la nuit de la mort de Rollin-Lachenal, vers quatre heures du matin.

– Et c’était vrai ?

Darbellay me jette un regard courroucé.

– Calme-toi. Si la langue te brûle, sers-toi une petite gnôle, et profite de mon histoire. Elle est pas belle mon histoire ?

– Magnifique, concède Pelletier qui ne se fait pas prier pour remplir son verre.