Chapitre XII

Épisode 068

– Donc, reprend Darbellay, je retourne au café du Léman, je paie ma tournée et j’attends un peu avant de cuisiner mon mec. William Serriny, il s’appelle, un espèce de rabatteur chafouin qui est payé par quelques patrons de bar à champagne pour orienter la brebis égarée. Un sale type qui passe ses nuits dans les rues pour pas un rond ou presque et qui en connaît plus que n’importe qui sur les mœurs du contribuable. Et donc, dans la nuit de la mort de Rollin-Lachenal, il est bien sûr de la date à cause du bal des sirènes et des flics qui couraient partout dans le quartier, il a essayé d’embobiner deux mecs qui titubaient sur un trottoir. Il affirme que l’un deux est Tardelli. Il était bourré grave et il avait envie de se faire mousser, mais j’ai quand même tendance à le croire. L’autre serait un étranger qui parle avec un accent que Serriny suppose anglais... Mais vu que ses connaissances linguistiques doivent s’arrêter à l’argot vaudois, ce pourrait être norvégien, allemand ou russe pareil ! Bon, le présumé Tardelli était beurré grave, tenait à peine sur ses pattes et il était prêt à débarquer dans n’importe quel boîte pour peaufiner encore un peu sa cuite. C’est l’autre qui ne voulait pas, qui lui disait. «  T’as trop bu. Il faut rentrer maintenant . » Serriny a noté que l’étranger avait l’air excessivement sobre pour cette heure de la nuit. Ce qui ne lui permettait pourtant pas de calmer son compagnon. Tardelli n’arrêtait pas de gueuler faisait un cirque en jurant ses grands dieux qu’il allait très bien et qu’il n’avait pas besoin d’être chaperonné. Ce qui est intéressant, c’est que d’après Serriny, Tardelli essayait de rembarrer l’étranger en lui disant que tout était payé, que les comptes étaient clairs et qu’il pouvait se barrer.

– Qu’est-ce qui était payé ?

– Bon, t’es gentil, Joss. C’est pas marqué devin, non plus ! J’ai demandé à Serriny ce qu’il en pensait. Alors, bien sûr, il refuse de se mouiller, mais il pense aussi que les deux hommes s’étaient rencontré le soir même, qu’ils avaient réglés une affaire, une transaction et qu’ils n’avaient plus rien à faire ensemble. Du moins Tardelli. Car l’étranger n’avait pas l’air de vouloir lui lâcher la grappe, même s’il paraissait gêné de devoir converser ainsi en public. Il n’arrêtait pas de dire à Tardelli qu’il l’invitait à boire un verre chez lui. Il prétendait avoir de tout, récitait un florilège de boissons sans parvenir à reprendre la main. Serriny était sûr de pouvoir appâter Tardelli jusqu’à un bar de sa connaissance. Mais il a eu peur. Le regard de l’autre. Je m’y connais m’a-t-il dit , ce type-là, c’était pas un tendre. Il avait les yeux qui me disaient que j’avais intérêt à me faire tout petit. Alors je me suis éclipsé. Vous savez, ça m’a fait drôle de le voir dans la page faits divers de la Tribune, ce mec. C’est l’étranger qui l’a dessoudé, vous croyez ?

–  Et toi, tu crois quoi ?

– Moi, je parie que oui. Et j’ai encore besoin d’une ou deux confirmations dans ces relevés d’interviews.

Je me penche vers lui.

– C’est les relevés que nous avons récolté cet après-midi. Il n’y a rien là-dedans !

Malgré la gnôle, Darbellay a le regard plus perçant que d’habitude.

– Ça dépend de ce qu’on souhaite y trouver.