Je regarde d’un peu plus près.

– Ce sont des échanges de mails entre secrétaires !

– Exactement, mon petit père. Et là ce sont des grilles d’horaires. On va passer la nuit à les éplucher, s’il le faut...

– Euh ! Je ne serais pas contre un petit complément d’explication, dit Pelletier, qui prouva aussitôt qu’il n’était pas contre un grand complément de gnôle non plus.

– Vous voyez qu’elles sont passionnantes, mes histoires ! Ce que je cherchais est souligné ici. Les échanges entre Nadine Gauffret, secrétaire de direction des établissements Rollin-Lachenal, Ana Briss, secrétaire à la division immobilière, toujours chez Rollin-Lachenal, et François Cardozzo responsable de zone à la Régie du Centre-droit. L’objet en question, c’est l’immeuble où l’on a retrouvé Tardelli.

– On le sait. Ça prouve le lien entre Rollin-Lachenal et les tueurs.

– Justement. Je reprends ta théorie et je la développe un peu, tu permets Joss ?

Il avance la main, prend la bouteille, hésite à se resservir un verre...

– J’ai la gorge sèche mais si je continue à me réhydrater à l’eau de feu, je ne vais bientôt plus avoir les yeux en face des trous.

Pelletier désigne les sacs plastiques.

– On peut continuer à la bière, si vous voulez !

– J’aurais préféré un coup de blanc, mais j’vais pas cracher dedans quand même ! Bon, je disais quoi, moi ?... Santé !... À la tienne, Joss ; À la tienne aussi, Machin ! Tu me rappelleras ton nom, mais pas ce soir, parce qu’avec ce que je vais devoir ingurgiter du crâne, je me souviendrai pas... Une prochaine fois... Oui, ta théorie, Joss... Rollin-Lachenal décide de sauver son affaire. Par une connaissance, il faudra encore faire le lien, il entend parler de Tardelli, un petit génie qui fait tourner son affaire mais que son associé arnaque dans les grandes longueurs. Tardelli vit une relation difficile avec Magrot. Il sait ce qu’il lui doit ; il sait surtout ce qu’on lui vole. Il n’est pas intéressé par l’argent, mais il rêve de s’acheter une liberté. Et Rollin-Lachenal lui propose une jolie somme pour une blague de potache. Je ne sais pas comment il lui présente la chose, mais du genre «  Je suis foutu, je le sais, mais je veux sortir par un dernier coup d’éclat, faire quelques sueurs froides aux salauds qui vont m’enterrer. On va bien se marrer !  ». Enfin, un discours capable d’emballer Tardelli. Tardelli doit hésiter. Rollin-Lachenal lui promet de prononcer son discours en premier, pour qu’il voie qu’il ne s’agit pas d’un traquenard. Et Tardelli se dit que, finalement, il va se faire connaître du tout Genève, ramasser un pactole peu négligeable et, plus que tout, faire enrager Magrot et l’obliger à réfléchir. Il accepte. Et il signe son arrêt de mort.

– Pourquoi Rollin-Lachenal devait-il faire tuer Tardelli ?

– Pour ne pas qu’il puisse raconter qu’il ne s’agissait que d’un canular. Je suis sûr qu’il y a un faux contrat quelque part, un papelard que Rollin-Lachenal aura fait signer à Tardelli sous un prétexte bidon. J’escomptais bien mettre la main dessus. Mais il faudra faire sans.

– Mais Tardelli n’avait pas le droit de signer de contrat au nom de l’entreprise et...

Pelletier corrige ma réflexion.

– Rollin-Lachenal aurait eu beau jeu de prétendre qu’il n’en savait rien, qu’il avait été trompé, voire même de mettre le crime sur le dos de Magrot.

– Bien vu, mon gars. Il n’avait que cette corde-là. Gagner du temps et profiter des couillons qui le croiraient remis à flot.

Une pensée me perturbe depuis quelques instants.

– Mais alors pourquoi Rollin-Lachenal a-t-il fait tuer Tardelli justement dans cet immeuble ? C’est ridicule ! Il ne faisait que retourner les soupçons sur lui.

Je reçois une bonne claque dans le dos en guise d’approbation.

– Voilà la bonne question. Et la réponse est ici, tonne Darbellay en pointant du doigt la correspondance de Nadine Gauffret, Ana Briss et François Cardozzo.