Darbellay compulse les feuilles. Je suis à côté de lui, un peu fébrile.

– Tiens, dit Darbellay, je ne m’attendais pas à ça...

Il pointe le doigt. Wilfried Kirschtein a passé près de deux heures dans la banque en plein milieu de la nuit. Les horaires correspondent avec l’activité constatée sur le poste de Rollin-Lachenal.

– Je crois que nous allons réveiller un brave financier un peu plus tôt qu’il ne l’aurait voulu.

Il décroche le téléphone, se ravise, dévisage Pelletier qui tète goulûment sa bière les pieds croisés sur la table.

– Euh ! C’est pas que je t’aime pas, machin, mais ta présence risque de faire tache à l’heure du grand chambardement.

Pelletier s’envoie une belle gorgée pour faire passer le tout, s’essuie le mufle et dit.

– Dommage ; j’commençais à me croire au cinoche, moi !

– Tu veux qu’on te ramène en allant chercher l’autre ?

– Non, non ça roule, j’habite à deux pas.

Ça roule, c’est beaucoup dire. Disons que ça tangue un peu dans la démarche de Pelletier.

– Euh, Joss, tu devrais le rattraper ton pote, et le raccompagner jusqu’à la rue. C’est pas un hôtel, ici, y vont pas le laisser sortir sans que tu confirmes. En plus, plein comme il est, il risque de dire des conneries !

Quelquefois la voix de Darbellay résonne comme l’oracle de la sagesse. Je le remercie en l’appelant Delphes-sur-Rhône, ce qu’il n’est pas prêt de capter, et j’assure une sortie décente à mon pote qui avait dans l’idée de faire un exposé sur les effets du manque d’alcool sur la morosité du petit personnel au crétin frais émoulu qui se caillait dans le courant d’air de l’entrée pour la grandeur de la Justice. Les premiers dialogues ne présageaient rien de bon, mais j’ai réussi à mettre mon grain de sel dans la conversation avant toute considération irréversible et à pousser mon pote vers la sortie en lui promettant une bouteille d’Oban la semaine prochaine, juré. Le jeune roquet me regardait mauvais, mais je me suis permis de le toiser un peu pour lui apprendre qui était au chaud dans les bureaux et qui allait encore se réfrigérer les cougnettes durant quelques hivers. Enfin, bref, j’ai pu rejoindre Darbellay sans encombre. Il éteignait son portable en soupirant.

– L’huissier qui ma répondu bossait la nuit qui nous intéresse. Il connaît Kirschtein de vue, mais il ne se souvient pas l’avoir croisé à une pareille heure. Cela dit, et je te dis ça à l’ouïe, il y avait soit un film de cul sur son écran, soit une partie fine dans la loge. Je parie pour la solution A, et je te dis qu’entre le sport et le porno, si aucune alarme ne sonne, ce genre de gars ne voit passer personne.

– Et Kirschtein ?

Darbellay consulte sa montre.

– Il devrait arriver. J’ai envoyé Chappuis le chercher il y a sept minutes. Il m’a dit dix minutes, donc...

Donc, connaissant Chappuis, dans trois minutes, un grand maigrelet en colère à l’accent du nord le précédera dans la salle.