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Chapitre XIV Épisode 078 |
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Je vais vous raconter une belle histoire. Darbellay est en bout de table, fier comme un pape. Tarantini aurait bien voulu mener l’interrogatoire, il doit se contenter du rôle de sous-fifre. Moi, je me tiens coi. Je me contente de presser sur la touche play du magnétophone lorsqu’on m’en donne l’ordre. Bernard Armand se passe la main sur le front. Il dit qu’il a mal à la tête. Darbellay lui répond qu’il s’agit d’un problème de poids sur la conscience, et qu’en la soulageant il n’aura pas besoin de Panadol. Armand se renfrogne sur sa chaise. Il me semble plus combatif que chez lui. Darbellay n’en a cure. C’est l’histoire d’un homme intelligent, brillant même, mais qui manque cruellement de caractère. Il a fait des études brillantes, mais ne parvenait pas à se vendre dans les entretiens d’embauche. Il manquait de charisme pour mener la carrière dont il rêvait. Il pensait peut-être que ça s’arrangerait avec l’âge. Mais ce genre de choses ne s’arrangent pas. Un jour, on lui a donné une belle place dans une banque. Il n’a jamais eu la force d’en bouger. Il était bien payé, certes, mais pas à sa juste valeur. Et il le savait. Mais il n’avait pas le courage de le dire. Ou alors, quand il se plaignait, on le calmait en lui donnant deux ou trois actions de la banque. Cet homme était marié, sans enfant, vaguement malheureux... Bernard Armand renâcle. Je ne suis pas malheureux. Mon couple est sans nuages et... Darbellay se saisit de la fourre plastique dans laquelle il a glissé les affaires d’Armand. Il en sort un passeport et un billet d’avion. Oui, votre couple est à ce point sans nuage que vous avez acheté un seul billet d’avion. Un seul. Parce que, si vous ne supportez votre femme que par faiblesse, vous n’êtes même pas fichu d’avoir une maîtresse ! Parce que vous vous êtes laissé enfermé dans votre rôle, votre statut, vos heures supplémentaires, et vous êtes devenu un moyen bourgeois vieillissant, un pauvre inutile abandonné dans sa petite maison... Sans clinquant, sans classe. Et quand Rollin-Lachenal engage un consultant, il le paie trois fois votre salaire, vous qui vous êtes décarcassé pour la banque, qui avez oublié de vivre à cause des heures supplémentaires... Vous vouliez des enfants, Armand ? Je... Ma foi... Nous nous sommes mariés assez tard avec ma femme, et ce n’est pas venu. C’est comme ça. Et vous pensez que si j’allais fouiller dans votre passé, je trouverai mention d’un spécialiste de la fécondité ? Pardon ? Moi, je suis sûr que non. Ce n’est pas venu. Vous avez travaillé plus que d’ordinaire, jusqu’à qu’il soit trop tard. Définitivement. L’envie d’enfant, l’envie de richesse, l’envie de gloire, vous avez tout laissé passer Armand. Et vous avez donné dix heures par jours et quelques week-ends de votre vie à Rollin-Lachenal. Vous savez que ce n’est pas juste, hein, Armand ? Depuis des années, vous ruminez votre mauvaise fortune. Vous lui en vouliez à Rollin-Lachenal, vous le haïssiez, sans doute. Mais vous n’osez pas le dire. Vous êtes le brave chien fidèle qui aime les caresses distraites, le type qui se contente d’être vaguement indispensable et un peu oublié. C’est votre vie Armand, et elle aurait pu durer jusqu’à la crise cardiaque... Et puis voilà, un jour Rollin-Lachenal vous demande de poster un courrier confidentiel. Évidemment, vous ouvrez la lettre... Mais pardon ! Jamais je n’ai... Si, vous ouvrez la lettre. Vous ouvrez toujours les lettres. C’est ce qui vous permet dans les séances d’être de l’avis de Xavier. Le bon toutou qui devance les désirs de son maître. Vous êtes insultant et... Darbellay reprend plus fort, gueulant presque : Et vous découvrez le gigantesque coup de poker de Xavier. Vous saisissez qu’il y a moyen de faire fructifier vos actions. Encore faudrait-il que Rollin-Lachenal vous laisse les vendre. Car vous connaissez votre patron mieux que personne, vous savez qu’il ne lâchera pas la rampe, qu’avec l’argent récolté, il tentera le tout pour le tout, qu’il essayera réinvestir au plus vite pour se sortir de la panade. Et vous savez aussi que c’est insensé, désespéré, qu’il va une nouvelle fois perdre la mise. Mais voilà, vous disposez d’une adresse, d’un contact... Et si vous changiez un tout petit peu la consigne, tous vos problèmes s’effaceront d’un coup. Ce meurtre, vous ne l’auriez jamais commis sans la folie de votre patron. Mais on vous l’a offert sur un plateau. Comment auriez-vous pu résister ? C’est faux. Non, c’est vrai. Et presque compréhensible... Mais ce que nous ne vous pardonnons pas Armand, ce pourquoi nous allons vous cuisiner et vous faire craquer, c’est l’assassinat de Tardelli. Armand ne répond rien, il ouvre des yeux plus grands qu’à l’ordinaire. Plus étonné, peut-être. Nous n’arriverons peut-être pas à extrader le tueur, mais il nous a confirmé par lettre, que son commanditaire avait confirmé les deux meurtres. Les deux meurtres, Armand ! Vous avez tué Rollin-Lachenal, mais vous n’avez pas sauvé Tardelli. Xavier achetait son silence. Vous, vous n’avez pas eu l’once d’humanité de l’épargner. Toujours rien à me dire ? Armand se redresse un peu, il a le regard vide. Il se tait, obstinément. Bon ben on va prendre une pause, nous, pas vrai les copains ? ! Réfléchissez en paix, Armand ! Nous sortons de la salle. |
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