Ceux de Corneauduc
Cent quatrième épisode
Chapitre XX
Gobert, les mains en porte-voix, hurle à plein poumons :
– Saaaaaanglieeeeeer ! Saaaaaanglieeeeeer !
Il s’appuie contre un arbre pour souffler un peu. Il a la gorge en feu de soif et d’avoir trop crié. La tête lui tourne et le sommeil cherche à le gagner. Mais il se secoue incontinent. « Bredouille point il ne faut rentrer si bon rôt l’on veut manger », se dit-il pour se fouetter courage.
Où donc sont ses compagnons ? S’il ne peut se perdre en forêt de Minnetoy-Corbières, il doit s’avouer que les bois de Briseglotte ne lui sont faits que d’inconnu. Il faut admettre qu’il y est Dieu perdu.
Un bruissement dans un fourré voisin chasse sombres pensées pour le ramener à ses sangliers. Il y en a un gros qui s’agite là, tout près, et il s’agit de ne pas le laisser filer. Ventrapinte empoigne fermement son coutelas et s’avance à pas de loup sous les branches basses d’un pin.
Un sanglier aurait déjà fui ou attaqué, pense-t-il. Comme pour corroborer ses dires, des voix se font entendre et lui mettent baume au foie.
– Où donc sont le gros soiffard et le grand gueulard, Mimile ? Il n’y aura bientôt plus à boire et toujours rien à se mettre sous la dent...
– J’ai cru entendre le sieur Luret crier dans les parages. Il ne saurait être loin. Passe-moi ce qui reste de cette bouteille.
Raoul portait le flacon à ses lèvres quand on le lui arrache des mains. Sa bouche avide s’agite à vide, continuant sur son erre. Un glou glou forcené et un rot puissant retentissent dans son dos.
– Bougremissel ! Il faisait rudesoif ! Merci mes gueux ! Je vous paierai chopine en auberge.
Les deux brigands s’entreregardent.
– Dis-moi, Raoul, ce drôle ne vient-il pas de nous soustraire boisson de la bouche de fâcheuse manière, et ce pour la seconde fois depuis que nous le connaissons il me semble ?
– Ce me semble fait avéré, Émile.
– Devons-nous donc lui apprendre les belles manières par celle que l’on dit forte ?
– Peut-être serait-ce service à lui rendre...
– Et que quand il reprendrait conscience il saurait nous en être reconnaissant...
– Bien qu’édenté...
– Les yeux pareils à des châtaignes...
– Et le nez éclaté comme fraise...
Gobert s’assied sans façon entre les deux lurons et pose ses lourds battoirs sur leurs épaules.
– Je crois qu’il est temps de retrouver Braquemart et de rentrer en auberge. Il n’est nul gibier en ces bois et la cave des Van der Klötten doit déborder de venaisons de toutes sortes. Rentrons, mes gaillards, nous n’avons que trop jeûné et j’ai une soif à incendier Babylone.
– Bien parlé Gobert. J’ai cru entendre crier il y a peu vers la colline aux pendus. Menons-y nos pas, nous le trouverons sûrement endormi sous un arbre. |