Ceux de Corneauduc
Cent cinquième épisode
Chapitre XXI
uand la Duchesse entre dans la chambre de souffrance de son époux, elle n’éprouve plus de haine. Si le Chevalier de Vailles a dit vrai sur l’état du Duc, la disgrâce qui le frappe la dispensera désormais du pire de lui-même, de ses râles dont même une truie réprouverait le peu d’élégance, de l’emprise de ses mains qui pétrissent comme on ferraille ou empoigne cruchon. Si les mains du Duc la touchaient ce n’était que parce que sceptre de lignage le commandait, que son immense cul noirâtre ne se tenait plus. Maintenant que l’étendard de tant de mâle orgueil était en berne, elle était soulagée au-delà de ce qu’elle pouvait rêver, soulagée à en être incrédule.
Besoin n’est plus de risquer la corde à tuer ce rustre encombrant, non plus que de courir l’amant de pacotille dans la pénombres des fins de banquet ou dans les tristes sous-bois de Minnetoy-Corbières. Camilla Clotilda se sent de taille à subir la bêtise et la crasse de son époux, maintenant qu’elle n’aura plus de mal à le tenir à distance. La maîtresse du château, ce sera elle. L’héritier en son ventre, elle n’aura plus à se cacher. Et ce pleutre d’antichambre d’Eustèbe Martingale saura sentir le vent et se rangera sans tarder à ses vues.
Ces pensées agréables rendent l’âme de la Duchesse primesautière et guillerette. Elle se sent prise d’une tendresse teintée de mansuétude pour son gros ours de mari. Mais elle doit s’assurer que les dires de Vailles sont vérité. Aussi se surprend-elle à jouer comédie qui pourrait passer pour basse vengeance si elle ne l’amusait autant sur le chaud du moment. Elle admettra bien plus tard à confesse que peut-être était-ce un rien cruel, mais elle se dira aussi que la vie offre ma foi fort peu de joie et que, si certains jeux sont peu chrétiens, ils satisfont l’âme mieux que dizaines de viles ripailles. Et puis, elle se devait avant tout de savoir.
– Oh, mon valeureux époux, blessé vous fûtes alors que vous me secouriez, héroïque à la tête de votre grande armée !
Elle se penche par trop en avant, jusqu’à que le Duc allongé hoquette à la vue qui s’offre à lui.
– Je... Ce n’est que légère estafilade, lueur de mes jours...
– Qu’il me tarde, Freuguel mon aimé, de me glisser en votre couche pour vous donner juste récompense de votre courage ! Le doux repos du guerrier. |