Ceux de Corneauduc
Cent neuvième épisode
Chapitre XXI
Ce n’est point que le sort de la Duchesse importe à Gobert Luret mais il lui vaudrait longue bouderie de la part de Braquemart s’il ne tentait quelque chose pour arrêter le forban. Avec un profond soupir, le forgeron sort sa dague qui a tranché moult saucissons mais jamais gras d’homme et se campe sur le chemin que l’homme en noir doit emprunter pour retourner à l’auberge. Courage et raison lui font mauvaise boule dans la gorge, mais quelque sentiment plus noble l’empêche de se dérober.
Entre les branches basses, il distingue le retors personnage qui s’ébranle sur son cheval en ricanant. Comment arrête-t-on un cheval quand on a que ses deux jambes ? Si au moins il avait eu Bourrue avec lui, il aurait pu la coucher en travers du chemin. Et pour la faire bouger, celle-là, il aurait fallu plus que les sortilèges d’un sorcier des mauvaises nuits.
Le bucellaire s’approche, le regard vague. Tout à sa récente victoire, il n’a pas encore aperçu Gobert qui aura pour lui l’instant de surprise. Il pourra planter, mais il faudra planter juste. Et le tremblement qui s’empare de son bras et le flou qui lui coule derrière les yeux ne lui disent rien de bon. Mais vaille que Vailles, comme disent les soldats de Minnetoy-Corbières !
Gobert attend de pied ferme, prêt à hurler le guttural courroux de l’homme à la gorge vaillante, prêt à fondre sur l’ennemi, quand une pive tombe juste devant lui. Un bruissement au-dessus de sa tête lui fait lever les yeux.
Dans l’arbre, il discerne une ombre fugitive qui se colle au tronc. Quel est donc ce lutin perché dans les feuillages ? Un raton-laveur, une belette de forte taille ? Ou bien est-ce plutôt la mort qui, ayant senti sa fin proche, rôde dans les parages, prête à le cueillir ?
Le forgeron sent son bras exploser. Un carreau vient de se ficher dans le gras de son épaule, le clouant contre l’arbre. La douleur et la surprise lui font perdre sa dague. Il porte une main à son épaule pour la ramener poissée de sang. Il relève la tête et voit Hector-Maubert de Guincy souriant diaboliquement tout en rechargeant lentement son arbalète.
– Avec toutes ces rencontres divertissantes, j’avais oublié le gros baudet. C’est gentil de vous rappeler ainsi à mon bon souvenir. Me feriez-vous le plaisir de ne point bouger que je vous ajuste un peu mieux cette fois-ci ?
Hector-Maubert guide sa monture tout près du forgeron. Gobert tente de se délivrer mais le moindre mouvement lui allume brasier par tout le corps. Le bucellaire se dresse maintenant très haut au-dessus de lui et pointe lentement son arme vers sa poitrine.
– As-tu fait ta prière, forgeron ? |