Ceux de Corneauduc
Cent dixième épisode
Chapitre XXI
Non, Gobert Luret n’a pas fait sa prière. Il n’avait jamais été homme à fréquenter l’église de Minnetoy-Corbières, préférant de loin vider les fûts de Morrachou ou refaire le monde avec Braquemart et Petitpont. Maintenant, yeux dans les yeux avec cette pointe qui va lui transpercer le cœur, il se prend à douter.
Il fait une nouvelle tentative pour se libérer. Le noir forban sur son cheval semble savourer cet instant et prend son temps. Gobert croise son regard. Il lit dans ces yeux un amusement curieux. Il sent plus qu’il ne voit le doigt assassin se crisper sur la gâchette de l’arbalète et il se dit que tout est fini. Le forgeron ferme les yeux.
Ses dernières pensées vont à sa femme, Isabelle. Pour la ravoir rien qu’à lui, oh oui, il la ferait bien cette prière !
Il entend distinctement le claquement de l’arme. Il se contracte.
– Plonk !
Jamais, au grand jamais, une arbalète n’a fait « plonk ! ». Gobert ouvre les yeux. Le bucellaire vacille, comme dans une valse avinée, la main à la tempe. Une grosse souche gît sur le sol.
Mais trop vite, le flou se dissipe. Hector-Maubert fouille le feuillage, les yeux mauvais. L’ennemi de cette nuit a frappé. Mais cette fois-ci, il n’a atteint que le côté du crâne.
– Tu n’as plus d’arme, maudit gredin, maugrée le bucellaire en levant son arme. J’abattrai cet arbre ! s’il le faut, mais je te forcerai bien à te découvrir...
Gobert comprend qu’il est oublié. De sa main valide, il s’en vient chercher le carreau qui le cloue au tronc. Il tire, il tire à s’arracher les chairs, mais Dieu, la pointe doit être fichée à trois pouces pour le moins. Il n’y arrivera jamais.
– Je t’ai vu !
Le carreau d’Hector-Maubert se fiche dans une branche haute. Dans l’arbre, les feuilles volent. Une ombre progresse le long d’une branche.
– Agile comme un singe, mais point aussi agile que ma flèche, dit-il en rechargeant son arme.
Cette fois encore, une branche pare le trait. Mais l’ombre là-haut en est désarçonnée et choit dans l ! e vide. Elle se rattrape des deux mains, les pieds pendouillant dans le vide.
– Vouivre de Dieu ! C’est un morveux !
– Bougremissel ! C’est Gamin ! |