Ceux de Corneauduc
Cent onzième épisode
Chapitre XXI
C’est à peine si Gobert sent son épaule se déchirer. C’est à peine si du coin de l’œil, il discerne son fils qui se hisse sur la branche. Il ne voit que l’arbalète et le rictus horrifié du bucellaire qui se tourne vers lui et le découvre libre de ses mouvements, lancé à pleine course.
Hector-Maubert n’a pas le temps de réarmer. Le forgeron le saisit par la cheville et le vire de ses étriers pour l’aplatir par terre. Le forban s’écrase au sol et son visage percute la bûche de Gamin.
Le bras de Gobert a martelé l’enclume depuis sa plus tendre enfance, il a fait plié le métal sous son marteau, mais jamais il n’a pilonné avec une telle rage. Les genoux enfoncés dans le ventre du bucellaire, Gobert cogne à toute force de son bras valide.
– Tu égorgerais ta mère, vil démon ! Foutremitaine ! Je t’apprendrai à arbalèter l’honnête artisan et sa descendance !
Hector-Maubert sent son souffle quitter poitrine. Les os des pommettes craquent, sa mâchoire se disloque et ses dents se détachent une à une comme noisettes mûres et viennent s’amasser au fond de sa gorge.
Les limbes sont pour un bucellaire domaine de connaissance. Hector-Maubert courtise seuil de la mort depuis qu’il a pris les travers du chemin. Et même là, le souffle coupé, la gorge emplie de sang, le bucellaire ne se résigne pas au tombeau. Il sait que la colère du buffle lui ôte clairvoyance et il garde toujours quelque arme traîtresse en son habit.
Les doigts d’Hector-Maubert progressent sous sa chemise de lin alors qu’il lutte contre les ténèbres. Il lui faut rester en conscience malgré les coups qui lui pleuvent.
Gobert Luret soufflette maintenant à plein battoir, avec la régularité de la lavandière au bord de rivière. Son bras décrit des arcs de cercle de grande envergure et sa main calleuse défonce et détruit ce qu’elle rencontre sans jamais ralentir sa course. Le visage du mercenaire se déforme sous les coups et Gobert songe au métal chauffé à blanc se modelant entre marteau et enclume...
Le forgeron arrête net les mandales magistrales qui semblaient ne jamais devoir cesser. Une lame enfoncée jusqu’à la garde dans sa cuisse le fait hurler de douleur. En un éclair, il distingue la dague du bucellaire se lever à nouveau. Il se roule sur le côté avant que l’arme ne lui tranche la gorge.
À bout, de souffle, geignant et soupirant, le bucellaire se relève pourtant prestement. Une lame fine où perle du sang prolonge son bras, prête à sceller à jamais le sort du solide soiffard.
Gobert Luret chancelle sur ses jambes. La sueur de colère s’est gelée dans son dos. Il est debout, entier, mais il ne sent plus sa jambe. Le sang chaud qui coule de sa blessure à la joue lui poisse le col. Hector-Maubert montre visage bien plus misérable ; sa mère même aurait peine à le reconnaître tant le forgeron a eu la main lourde. Il tient son arme comme le crucifix que l’on brandit à la figure du démon. Il crache rouge et épais et sa voix n’est qu’un souffle quand il lance.
– Recule, toi forgeron. Laisse-moi champ libre vers ma monture ! |