Ceux de Corneauduc
Cent douzième épisode
Chapitre XXI
Hector-Maubert contourne Gobert sans le quitter des yeux. Il va saisir la bride de son cheval quand une voix rauque le cloue sur place :
– Halte là, maraud ! Tu veux jouer les tranche-gosier... tu vas jouer avec adversaire à ta taille !
La corde tranchée nouée à la cheville, suivi de Fanchon blême et de Gamin qui trottine en roulant des yeux, Braquemart s’avance à grands pas, drapé dans son orgueil, le visage fermé, l’œil haut, l’épée pointée vers l’ennemi.
Hector-Maubert dont la main tremble sur le stylet trop court sent sueur et sang se mêler en ses chairs tuméfiées. Ses doigts s’écartent et il laisse son arme tomber à terre. Le voilà pris à revers par des manants plus habiles au goulot qu’à l’escrime. En temps normal, il ne ferait qu’une bouchée du grand barbu vociférant. Mais blessé, tuméfié, les bras lourds et les jambes molles, Hector-Maubert se sent peu faraud. La soumission semble la seule voie de salut. Et puis, de si piètres adversaires ne méritent pas d’être attaqués de front ! Il pose donc genou à terre.
Braquemart s’avance, terrible, impitoyable. Il applique la pointe de sa lame sur le front du bucellaire.
– Sais-tu, forban aux idées torses, comment les cosaques d’Abyssinie achèvent leurs ennemis ?
Fanchon, réalisant soudain ce qui se passe sous ses yeux, s’accroche au bras d’Alphagor, le visage tordu par la peur.
– Pitié pour lui, chevalier ! Je ne saurais vous voir achever adversaire agenouillé.
Bourbier hésite un instant. Hector-Maubert ne bouge plus.
– Ne le tuez pas, je suis sûre qu’il se repent déjà.
Le bucellaire bredouille entre ses dents :
– Oui, pitié, Chevalier. Je fais appel à votre légendaire mansuétude.
Alors, grand seigneur, Braquemart écarte Fanchon, plante son épée dans le sol et proclame comme qui s’adresse à vaste foule.
– Il est vrai que lame de chevalier ne transperce pas ennemi désarmé.
Puis, baissant la tête vers l’ennemi agenouillé, et sur le ton de la confidence : « Par contre, nul pleur de femme ne m’empêchera de châtier félon à la semelle. »
Il prend son élan et son pied vient fracasser le faciès du bucellaire comme charge de taureau piétine pâquerette. Les quelques restes d’os qui donnaient au visage d’Hector-Maubert un semblant de réalité se fissurent sous l’impact et le bucellaire est catapulté au sol, conscience aux étoiles et figure liquéfiée.
Braquemart s’immobilise, digne, le torse plus avant que le ventre.
– Eh bien, Gobert, te voilà esquinté de fort belle façon ! J’espère que cela ne t’ôtera pas l’envie de m’offrir à boire.
Et il ajoute à la cantonade : « Mes amis, je crois que vous me devez fière chandelle ! » |