Ceux de Corneauduc
Cent treizième épisode
Chapitre XXII
lcyde Petitpont arrête la charrette et pose la paume sur le front du Baron du Rang Dévaux. Voilà quelques lieues déjà qu’il le voit se débattre en mauvais sommeil. Son visage s’assombrit.
– Fièvre a-t-elle baissé ? s’enquit Guillaume Bouilluc en revenant à contrecoeur sur ses pas.
La lenteur de leur convoi lui pèse de plus en plus. Il piaffe sur sa monture mais ne veut point laisser son impatience troubler le paisible meunier. Malgré sa bravoure, il sent le souffle malsain d’Eustèbe Martingale coller à ses pas. Sitôt qu’il ferme paupières, des ombres se massent dans les fourrés et s’apprêtent à lui sauter dessus pour l’amener, nu-pieds et tête basse, à la potence réservée aux traîtres. Aussi progresse-t-il en éclaireur, se retenant d’éperonner sa monture pour s’enfuir au galop. Il voit bien que le malade souffre mille tourments. Et les terres ravinées et les chemins pierreux qu’ils suivent à faible allure attisent ses douleurs.
– Que nenni, répond le meunier, s’il ne transpirait autant il y a longtemps qu’il aurait mis feu à la charrette. Il lui faudrait quiétude d’une chambre et âtre ronflant. Ou repos pour le moins.
– Je crains que le repos soit en cette heure denrée que nous ne pouvons nous offrir.
Petitpont demeure silencieux. Il considère le Baron aux prises avec la souffrance, puis son compagnon qui cache mal la peur qui le tenaille. Le chemin jusqu’aux terres du Baron est encore long. Il convient de ne pas traîner en route. Les armées du Duc ont sans doute déjà mis à sac les hameaux bordant la Baronnie du Rang Dévaux. Mais le temps que les soldats fassent ripaille pour fêter victoire et se remettent en selle pour foncer sus la capitale leur laisse quelque répit. Du moins Alcyde veut-il le croire.
– Je crois me rappeler, Bouilluc, qu’à moins d’une demi-lieue vers l’est se trouve hameau de Briseglotte...
– Vos souvenirs sont fidèles, Messire.
– Or, ce village se situe à la frontière du Duché de Minnetoy-Corbières et de la Baronnie du Rang Dévaux.
– Vous pensez qu’il a dû être épargné par l’avancée du Duc ?
Alcyde Petitpont opine sans entendre, plus loin déjà en pensée.
– Il est, à Briseglotte, auberge tenue par une forte dame du Nord et son époux. Hilda se prénomme-t-elle. Cette brave femme accouchait en son temps toutes les gentilles qui n’avaient ni mari ni familles. Ses potions sont autres que les miennes, mais je crois qu’elle pourrait prêter concours à la guérison de notre Baron.
– Voulez-vous que j’aille la quérir ?
– Non. Mieux vaut nous y rendre. Notre Baron a besoin d’une couche chaude et sèche pour se soigner.
– Je passe devant pour m’assurer que route est libre. Il traîne à Briseglotte quelques mauvais garçons qui profitent sans vergogne de la faiblesse du passant. Ils n’auraient guère plus de pitié pour le Baron que les chiens de Martingale. |