Ceux de Corneauduc
Cent quatorzième épisode
Chapitre XXII
Petitpont se penche sur le Baron et lui passe serviette fraîche sur le front. Du Rang Dévaux gémit doucement, comme le daim touché par la flèche. Sous les paupières boursouflées qui ne ferment que de guingois, le meunier distingue deux yeux rougeâtres révulsés.
– Gardez courage, fier Baron, vos souffrances auront leur fin. Et si la voie de l’auberge ne nous est point interdite par quelques brigands ou filous, vous dormirez cette nuit en draps propres.
Alcyde regarde au loin mais ne distingue pas Guillaume Bouilluc. Il souhaite de tout cœur que le jeune garde ne soit pas tombé dans quelque guet-apens. Peut-être simplement a-t-il pris soin de préparer chambre pour l’arrivée du Baron.
Délicatement, le meunier en profite pour changer ses pansements. On ne peut dire que du Rang Dévaux reprenne figure humaine ; mais en se penchant sur lui, on a un peu moins l’impression de se trouver face à l’étal du boucher.
Quand Bouilluc revient enfin, Petitpont croque quelques radis, bien calé sur le siège de sa charrette. Le Baron semble paisiblement endormi.
– Te voilà, Bouilluc ! J’allais m’inquiéter. Qu’as-tu fait tout ce temps ?
– Ah, Maître Petitpont, il ne fut point facile de progresser jusqu’à l’auberge, bien que je n’aie rencontré nul malandrin, nul détrousseur. Je n’ai croisé que quelques ivrognes endormis ça et là dans les fourrés, comme s’ils avaient passé nuits et nuits à boire. Par contre, des soldats du Duc de Minnetoy-Corbières occupent l’auberge !
– Des soldats du Duc ! En es-tu bien sûr ?
– Cela m’a étonné. Nous sommes loin pourtant du champ de bataille, mais je ne puis me tromper : selles et couvertures sont aux armes du Duché. Des soldats s’activent aux écuries. Ils n’ont point figure à rire, et les montures dont ils s’occupent sont celles de personnages de haut rang. Il me semble même, je n’ai fait que l’apercevoir, que le Duc en personne siège en auberge devant forte chopine. Je voulais jeter l’œil à la fenêtre pour en avoir le cœur net mais une petite soubrette est sortie comme j’approchais, convoyant brocs de vin vers la forêt.
Alcyde Petitpont enfourne un radis bien rouge dans sa bouche avec un bon sourire. Brocs de vins et restes d’orgie lui donnent à penser qu’il ne tardera pas à revoir deux joyeux lurons de sa connaissance.
– Alors, que faisons-nous, Alcyde ?
– Attendons ici la nuit. J’ai donné au Baron de quoi calmer sa fièvre. Petite sieste nous portera conseil. |