Ceux de Corneauduc
Cent quinzième épisode
Chapitre XXII
D’un geste lourd, Freuguel-Meuzard-Childéric, Duc de Minnetoy-Corbières soulève chopine. Son bras tremble mais sa tête point. Pour la sixième fois, il se renverse la bière moussue dans la bouche et l’engorge à grand mouvement de pomme d’Adam et beau gargouillis de glotte.
– Encore !
Le contour des choses lui est encore trop net, il lui faut boire davantage. Le Duc regarde avec une moue de dégoût son aide de camp qui trempe à peine ses lèvres dans le liquide et essuie de sa serviette le rebord du récipient. Il pousse un long soupir. Que lui faudra-t-il encore ingurgiter pour voir ce fat, pour voir terre entière, colorés par les bienfaits de l’alcool ?
– Dieu ! combien me faudra-t-il boire pour ne plus songer à ma disgrâce et sourire sans regrets à l’arrivée prochaine de l’héritier ? Je ne sais, Seigneur, si les chopines bues céans doivent me faire rire ou pleurer...
Il met fin subitement à son discours pour songer à voix haute, les yeux dans le vague...
– Peut-être ne m’enivre-je pas à bonne source. Il me faut du vin, le sang du Fils, qui seul pourra redonner force à mon âme. Aubergiste, traîne ta graisse céans !
– Monseigneur...
Hans van der Klötten s’approche de la table avec les poses et la voix d’un garçonnet timide.
– Alberguier, je viens de converser avec le Très Haut. Apporte-moi un muid de ton meilleur sang de vigne.
– C’est que Monseigneur... Il n’y a plus rien à boire. Je viens de tirer pour vous les dernières gouttes de bière. Il n’a plus ni bière ni vin, ni eau-de-vie... Il ne me reste rien en auberge.
Le Duc tourne lentement le chef en direction de l’aubergiste et laisse glisser, menaçant :
– Que dis-tu ? |