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Chapitre I |
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Épisode 004 |
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La nouvelle coupa le souffle aux langues les mieux pendues. Les exploits prétendus ou réels d’Isabelle Luret en sa couche étaient, en l’absence de Gobert, l’un des sujets favoris des clients assidus du Sanglier noir. Ces temps derniers, on disait plaisamment qu’elle se laissait pétrir par les mains du boulanger ; que Dieu maudisse ce vil profiteur ! Et si ce qu’on trouvait au lit d’Isabelle était sujet à caution, chacun savait par contre ce qu’on n’y trouvait pas : son époux devant Dieu et les hommes, le brave forgeron Gobert Luret, mieux connu sous le sobriquet de Ventrapinte. De ses quatre enfants, il n’y avait guère que de l’aîné dont il pouvait revendiquer paternité. Ses deux jumeaux, trop mats de peau, et sa cadette, trop blonde, laissaient croire que gens de passage, alors qu’il s’éreintait à ferrer leur monture, ne s’ennuyaient pas en arrière-boutique. Alphagor Bourbier fut le premier à réagir devant telle déclaration : - Es-tu bien sûr que c’était toi, Ventrapinte mon ami ? Gobert, tout à sa joie, ne releva pas perfidie de cette question, ni éclats de rire qui s’ensuivirent. - Bougremissel ! Mais bien sûr que c’était moi, Braquemart ! Il n’y avait que moi et elle en couche. Il s’appuya sur l’épaule du chevalier qui ne put que courber l’échine. - Ah Alphagor ! J’ai encore vigueur du temps de mes noces. Je me sens comme jeune époux. Buvons, buvons à l’amour, mes amis ! Morrachou hésita un instant mais comme il est de notoriété que deuil de suzerain ne vaut pas bonheur de vieux compagnon ; un nouveau fût fut vite percé et les chopines emplies à ras bord. Tandis que Gobert vidait son verre d’une traite, sans respirer, Braquemart se pencha vers lui et lui glissa. - Dis-moi, Ventrapinte, tu me dois explication de ce prodige... Le forgeron s’essuya le mufle d’une main large et regarda son ami d’un œil méfiant. C’est sous le ton de la confidence qu’il répondit. - Je crois que le sermon de ce brave curé Gravenac, Dieu m’est témoin que je ne chaparderai plus en sa réserve de vin de messe, a eu fort effet sur ma douce Isabelle. L’enfant perdu de la Duchesse lui a arraché bien des larmes, et elle ne voudrait pas que ses... infidélités attirent les foudres du démon sur nos petiots. L’évocation lui arracha une larme qu’il effaça de sa grosse pogne, avant de lever son bras pour attirer l’attention de Morrachou sur l’état de son verre tandis que Braquemart lui donnait forte accolade. - Ah, je comprend mieux... Ce n’est pas par désir de toi mais par peur de châtiment céleste. - Ma joie présente et les yeux de lumière de ma mie me font passer sur bien des sarcasmes, mais ne t’avise point trop de trouver matière à rire. Les femmes que tu trousses en campagne ont vu passer bien plus de beaux parleurs qu’Isabelle. Quant à ta descendance, si tant est qu’elle existe, tu n’en sais pas même le nom. - Par contre, pour ce qui est de la tienne, tu connais leur nom mais point leur ascendance ! Gobert se leva pour répliquer, mais Braquemart interposa son godet entre l’ire de son compère et ses railleries. - Les discours nous éloignent mais la boisson nous rapproche ! - Certes. Alors, buvons ! Bougremissel ! Du nerf, Morrachou, les dignes taverniers ne laissent jamais aux convives le temps de vider leur verre. Remplis donc le mien. |
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Moscovite en goguette, vit russe à la fête. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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