Chapitre II
 
Épisode 005
 

amilla Clotilda, vous devriez garder le lit ! Vous n’êtes pas encore bien remise de votre épreuve... Il vous faut vous reposer.

- Il est bien question de lit, mon cher époux, alors qu’on me prévient que vous vous apprêtez à adresser un pli à vos cousins, un pli qui ne serait rien d’autre qu’une abdication !

- Que faire d’autre, ma douce ?

La voix de Freuguel Childeric, duc de Minnetoy-Corbières, qui tonnait cet automne encore comme torrent de montagne, n’était plus qu’un chuintement ténu. Cet homme qui guerroyait, courait la gueuse en campagne et chassait l’ours à mains nues passait maintenant son temps près de flambée, les pieds sur le ventre chaud d’Achille, le sanglier, qui grognait benoîtement sur la peau d’ours au pied du fauteuil.

La duchesse tournait autour de lui en se tordant les poignets d’énervement. De temps à autre, elle repoussait une mèche blonde qui venait jouer devant ses yeux rougis.

- Je vous avais connu autrement preux, mon ami ; prompt à prendre les armes pour défendre honneur et bannière.

Le duc se carra un peu plus profondément dans son fauteuil et regarda ailleurs en soupirant.

- Je suis mortescouilles et chacun le sait. Lorsque Fustironcle et Fargerand apprendront que descendance je n’aurai point, ils viendront m’en demander comptes. Un suzerain sans lignée est un suzerain désarmé que tous ses voisins rêvent de renverser.

- Mais vous n’êtes Dieu point à trépas, mortescouilles ou pas. Vous avez le poignet fort et le port digne. Votre peuple vous aime et vous soutient. Vous n’allez point laisser place à vos vils cousins, pas avant votre dernière heure !

- Ils ont descendance, eux, descendance qu’il faudra aguerrir. Il convient également que suzerains rencontrent leurs gens avant de les gouverner. Il ne serait point sage qu’à mon trépas, Fustironcle et Fargerand soient nommés maîtres d’un fief dont ils ne connaîtraient ni les hommes ni les us. La tradition est de leur côté et la raison également. Mon devoir me dicte de présenter à mon peuple qui décidera de son destin. La lignée passe avant tout. Et c’est la seule façon pour moi de me retirer la tête haute.

Le duc trempa ses lèvres dans un verre de vin vieux avant de poursuivre.

- Si je m’accrochais, on se gausserait de mon indignité, de mon infirmité. Je régnerais sous les quolibets. Non, je préfère négocier avec mes cousins ; au besoin, les laisser s’entre-tuer pour le pouvoir, et me retirer avec vous, ma mie, dans une bonne et vaste demeure, bâtie au cour d’une petite forêt de chasse, où nous coulerons douce vieillesse avec Achille et poignée de serviteurs.

C’était là tout le discours que l’on pouvait tirer de lui. Mais Camilla Clotilda ne l’entendait point de cette oreille. Pour ce rang de duchesse, elle avait quitté les éclairées provinces italiennes où peintres et poètes devisaient des vertus de l’antiquité, où l’on s’enivrait mieux de mots que de vins, où l’on débattait mieux qu’on ne ripaillait. On ne la déposséderait pas de son trône, pas ainsi. Et surtout pas au bénéfice de Fustironcle le fat et de l’immonde Fargerand, courtisans aux dents noircies et aux doigts crochus.

Camilla Clotilda frissonna. Elle avait rêvé du jour où peintres, sculpteurs et danseurs partageraient leur art dans la grande salle du donjon, elle s’était vue, altesse raffinée, veuve encore fraîche, s’enthousiasmant pour de jeunes artistes dont elle aurait fait ses galants. Et voilà qu’on lui proposait maison retirée et minables parties de chasse pour toute existence ! Ce n’était point là destinée à laquelle elle pouvait se résigner.

 
 
Comme on a nez, on se mouche.