Chapitre II
 
Épisode 006
 

Jamais, Camilla Clotilda n’aurait pensé que faute de jeunesse lui reviendrait ainsi à l’esprit. Pourtant, ce qu’elle avait tant voulu oublier lui apparaissait aujourd’hui comme planche de salut.

Sa jeunesse n’avait point été blanche et pure comme on aurait pu l’attendre d’une fille de son sang. Non seulement elle avait prit amants, mais pire, elle ne s’était jamais soucié du rang de celui qui l’enlaçait, plus souvent en grange que sous baldaquin.

La Gardazzi, une vieille accoucheuse, vaguement sorcière, lui avait enseigné comment éviter que de telles unions portent fruit. Mais ces conseils ne suffirent pas. Et si, durant des semaines, Camilla Clotilda attribua vertiges et nausées au mauvais sommeil ou à l’hiver précoce, son ventre se chargea de lui signifier que la cause de ses maux était autre. Elle s’enferma dans sa chambre sans trop savoir ce qu’elle espérait, refusant de sortir malgré les suppliques des siens. Et lorsque, de guerre lasse, son père, le comte di Capodistria, fit enfoncer la porte, Camilla Clotilda comprit à son air grave et à ses yeux cernés que son état n’était plus un secret et qu’elle devrait porter le lourd fardeau du péché. La famille di Capodistria était soucieuse des usages et de sa réputation, mais elle se voulait suffisamment éclairée pour ne pas répudier une jeune fille de charmants appas, qui, comme tant d’autres avant elle, avait écouté son corps un peu plus que son âme. Camilla Clotilda fut discrètement envoyée dans un petit hameau de Lombardie où vivait en fille Thédania, une vague cousine que nul ne visitait. C’est là qu’elle donna, dans les larmes, vie à un enfant qu’elle refusa même de tenir dans ses bras. Thédania n’insista pas et se retira discrètement avec le bébé. Mieux valait-il peut-être que ces deux-là n’aient jamais l’occasion de s’attacher.

- Ma fille, dit le comte di Capodistria, lorsque Camilla Clotilda revint au domaine familial, je crains que ton avenir ne soit au couvent... À moins que tu consentes à épouser un homme crédule. Il en existe de beaux spécimens en Royaume de France, si j’en crois bien me souvenir, ajouta-t-il un curieux sourire aux lèvres. Quelques danses et quelques cruchons feront de toi vierge à ses yeux, je m’en porte garant.

Aussi quand se présenta en Vénétie le duc de Minnetoy-Corbières, homme mûr et rustre qui venait chercher épouse à sa botte, le comte di Capodistria l’invita en son manoir et fit si bien qu’il s’enticha de la jeune Camilla Clotilda.

La crédulité était chez Freuguel Childeric une seconde nature. Quand Camilla l’attira en sa chambre, il avait tant abusé de vins lourds qu’il fut persuadé au réveil d’avoir pris jeune fille. Il jura de revenir la chercher un an plus tard, le temps de régler affaires et de préparer la cérémonie du mariage. Il tint promesse.

À l’heure de quitter les collines italiennes, Camilla Clotilda, prise par un remords qu’elle ne s’expliqua pas, rédigea une longue missive à l’attention de Thédania et de cet enfant venu de son ventre et auquel elle avait refusé l’aumône d’un regard. Thédania ne lui répondit jamais et Camilla Clotilda partit pour Royaume de France et tenta d’oublier.

Mais aujourd’hui, elle était prête à reconnaître cet héritier, sur lequel elle avait fermé les yeux et le cour, pour conserver son trône. Encore fallait-il convaincre son époux de l’existence de cet enfant et de sa paternité. À voir le filet de bave et de vin qui s’écoulait de ses lèvres graissoyantes et le ronflement satisfait qui s’échappait de son nez, elle se dit que sa tâche ne serait pas insurmontable.

- Puis-je me confier à vous, mon ami ?

 
 
Quand l’ours y va, le lion bêle.