Chapitre III
 
Épisode 012
 

Tout près de l’âtre de la salle à manger du château, cul calé en fauteuil et pieds posés sur tabouret, le duc lampait dru, au goulot, vin vieux à la gloire de ses couilles trépassées. Entre chaque gorgée il levait bouteille en direction de son épouse en poussant de gais bramements.

- J’engendrai, ma douce, ma mie, ma bonne, mon aimée ! J’ai descendance !

Le duc tentait de se lever mais, ses jambes ne le portant guère, il se raffalait en fauteuil pour hurler de plus belle.

- Et je n’ai point tant besogné en couche pour me faire ravir mon fief par de fielleux cousin, de cruels tartufes aux corps de haricots, qui ne donnent envie de rien et qui pourtant pullulent comme lapins ! Ha ! Cette paternité soudaine me redonne vigueur. Qu’ils y viennent, Fustironcle le fat, et Fargerand le hideux, mes glorieux cousins, qu’ils y viennent poser leurs serres sur mon duché ! Je les empalerai moi même sur le.

Camilla Clotilda, que de tels cris commençaient à excéder, tenta de tempérer la fougue de son mari.

- Notre fils n’est point encore là. Il n’est pas temps de boire à son retour et de crier bonne fortune trop haut, mon époux. Si vos cousins, par quelque subterfuge, apprenaient son existence, sa vie et celle du chevalier de Montcon seraient fort menacées.

- Et qui donc irait prévenir mes cousins, Achille peut-être ? D’ailleurs que lui arrive-t-il à Achille, voilà trois jours qu’il ne monte plus en couche pour me léchouiller la barbe ?

Le sanglier gisait en boule sur le sol, boueux et bavant comme à son habitude, mais son ronflement, capable d’ordinaire de couvrir cors et buccins, s’était transformé en pauvre sifflement qu’étouffait le crépitement des bûches dans la cheminée.

- Je ne voulais vous en parler, mon cher ! Les servantes disent qu’il mange trop riche et que viandes en sauce ne conviennent pas à l’animal !

- Allons, Achille à l’estomac fort et fier de son peuple. Nul à Minnetoy-Corbières n’est timide à manger, si ce n’est ce bougre de précieux de Martingale ! Non, Achille ne se coucherait pas ainsi, sans nous réjouir de son bon bruit de sommeil ! Il faut mander rebouteux.

- Il s’en est justement présenté un tantôt, clamant haut et fort pouvoir guérir le duc de sa malebourse. Je voulais le chasser, comme tous ces autres charlatans, mais Martingale a insisté pour le laisser entrer. Le manant était sale et épuisé par trop long chemin, alors j’ai fermé les yeux en sommant Martingale de le mettre à la porte sitôt potron-minet.

Le duc souleva un instant son gros fessier afin de permettre l’exhalaison d’une vesse redoutable.

- Voilà exactement ce qu’il nous faut ! Faites mander ce sage homme au chevet de mon cochon !

Deux laquais se précipitèrent pour accéder au souhait ducal, mais ils n’avaient encore quitté la salle que l’on frappait à la porte.

- Déjà ? s’étonna le duc. Ce rebouteux a quelques sorcelleries dans son sac ou je ne m’y connais point. Entre donc, manant !

La porte s’ouvrit sur Braquemart, entouré de deux gardes, suivi d’un Martingale à la mine matoise qui s’empressa vers le duc.

- Je vous ai ramené prestement, comme vous me l’aviez demandé, Alphagor Bourbier de Montcon, faux chevalier et vrai coquin, qui violait le plus sacré de vos édits alors même que je lui mettais la main dessus.

- Le plus sacré de mes édits, dis-tu ?

- Votre sérénité, cet infâme buvait en joie alors même que nous portons le deuil de votre descendance !

- Le deuil de ma descendance ? As-tu prononcé plus parfaite ânerie dans ta vie qui n’en fut pas avare, bougre parfumé ? Sors, donc de ma vue et fais sortir quelques fûts de cave. S’il est dit que le Chevalier de Montcon, que l’on nomme à juste titre Braquemart d’airain, est digne soiffard, il ne sera pas seul, ce soir, à faire prouesses de gorge.

 
 
Castro aboie car La Havane passe.